2024-05-07
 
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Ludmilla Chiriaeff

«J’aime la danse, car la danse, en effet, c’est le mouvement…et le mouvement c’est la vie, puisque tout ce qui vit, bouge et respire»[1]

L’année 2024 marque le 100e anniversaire d’une figure incontournable de la danse au Québec, Ludmilla Chiriaeff (1924-1996), celle qu’on appelait respectueusement «Madame». Danseuse, chorégraphe, pédagogue, fondatrice et directrice artistique son parcours de vie qui se déploie sur deux continents est celui d’une combattante, d’une femme de conviction qui a soulevé de nombreux plafonds de verre et su conquérir par la danse le cœur des Québécois.

 

Née le 10 janvier 1924, elle grandit à Berlin et connait à un tout jeune âge les affres de la guerre.  Alors que sa carrière de danseuse s’amorce, les portes de l’Opéra de Berlin lui sont fermées, elle est soupçonnée d’avoir du sang juif.  Fuyant cette terre hostile qui a détruit sa vie familiale, Ludmilla s’installe en Suisse en 1946 où elle reprend le fil sa carrière artistique.  Elle est danseuse et chorégraphe au Théâtre municipal de Lausanne ; elle enseigne la danse et fonde en 1949, sa première troupe Les Ballets des Arts à Genève.

En 1952, elle quitte la Suisse avec son mari, Alexis Chiriaeff, et leurs deux enfants.

«Ce pays (la Suisse) … préparait, en secret, le chemin vers une autre terre qui allait devenir ma toute première et seule patrie»[2]

Accostant à Halifax le 24 janvier 1952, la famille choisit de s’installer à Montréal.  Les rues enneigées de la métropole lui rappellent la Russie que son père lui a tant racontée, elle se sent chez elle.  Cette arrivée coïncide avec la naissance de la télévision de Radio-Canada et Ludmilla Chiriaeff se voit confier, quelques mois seulement après son arrivée, la responsabilité du volet danse de cette jeune télévision d’état.  Son insertion si rapide dans le milieu télévisuel québécois la propulse à l’avant-scène d’une communauté artistique en pleine effervescence.  Ludmilla Chiriaeff n’a pas peur des défis, elle se plie au rythme effréné que lui impose la télévision de Radio-Canada : elle signe un ballet tous les mois, assure les rôles-titres dans plusieurs de ces ballets, recrute et forme les danseurs qui l’entourent, sans oublier qu’elle est mère de trois enfants, un style de vie inusité pour une femme dans le Québec des années 50.  Mais madame Chiriaeff a un grand rêve, celui de rendre la danse accessible à tous et pour elle, le petit écran, offre une visibilité inespérée qu’elle doit saisir : «Il (le petit écran) ouvrait une fenêtre sur le monde et l’énergie créatrice, trop longtemps contenue au Québec, avait enfin un cadre pour s’exprimer librement. Grâce à lui…les arts se sont épanouis et la danse ne fut bientôt plus considérée comme la pécheresse des premiers jours.»[3]

En 1955, les Ballets Chiriaeff offrent un premier spectacle sur scène, le succès de cette première prestation donne le coup d’envoi à la création d’une véritable troupe de ballet.  Deux ans plus tard, en 1957, la compagnie devient officiellement Les Grands Ballets Canadiens (GBC).  Jusqu’en 1974, Ludmilla Chiriaeff assure la direction des GBC, menant la compagnie vers les plus grands succès.  Elle s’entoure de précieux collaborateurs dont le chorégraphe québécois Fernand Nault qui signe des œuvres majeures du répertoire québécois telles Carmina Burana (1966), Tommy (1970) sans oublier le célèbre Casse-noisette (1964) qui tient toujours l’affiche à ce jour.

 

FORMER LA RELÈVE EN DANSE

En parallèle de cette vie artistique foisonnante, Ludmilla Chiriaeff a pour préoccupation constante, la formation d’une relève en danse.  Dès son arrivée au Québec, elle donne des cours à l’École Chiriaeff ; en 1958, l’Académie des Grands Ballets Canadiens voit le jour et en 1966, à la demande du ministère des Affaires culturelles, elle fonde l’École supérieure (ESBQ), alors appelée École supérieure des Grands Ballets Canadiens, afin d’offrir une formation professionnelle en danse.  Elle est aussi l’instigatrice du premier programme danse-étude qui à partir de 1975, sous différentes formes et en association avec diverses institutions scolaires, offre une formation de haut calibre qui s’échelonne du niveau secondaire jusqu’à la fin du collégial, alliant études académiques et artistiques.

 

RECONNAISSANCE

Celle qui voulait : «apprivoiser, initier, éduquer, créer» peut dire mission accomplie.  Décédée en 1996, elle  laisse un héritage pérenne pour son pays d’adoption.  Les deux institutions qu’elle a fondées (GBC et ESBQ) et auxquelles elle a insufflé un élan unique sont encore aujourd’hui des moteurs essentiels pour la communauté de la danse au Québec et au Canada.  Sa contribution à la discipline de la danse a été souvent soulignée par de nombreux prix et honneurs, dont le prix Denise-Pelletier du gouvernement du Québec (1980), le titre de Compagnon de l’Ordre du Canada (1984), de Grande officière de l’Ordre national du Québec (1985), le prix international Nijinsky (1992) ainsi que le Prix du Gouverneur général pour les arts du spectacle (1993).  En 2022, elle est nommée personnage historique par le gouvernement du Québec, elle est membre honoraire du Regroupement québécois de la danse.

Bolchoïé spaciba Madame Chiriaeff !

 


[1] Tirée de l’allocution de madame Ludmilla Chiriaeff lors de la remise du Doctorat honorifique de l’Université du Québec en 1987.

[2] Chiriaeff L. Comme Un Cri Du Coeur II : Témoignages : [Ludmilla Chiriaeff, Miguel Angel Estrella, Diane Dufresne, Théodore Monod, Jacques Gaillot]. Éditions l’Essentiel; 1995. 27

[3] Chiriaeff L., 1995. 31