2019-05-07
 
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Conversation sur les enjeux des danses urbaines

Précarité en danse: retour sur le café-débat du RQD

Est-ce parce qu’elle est la plus touchée par la précarité? C’est une jeune génération résiliente et engagée qui a participé au dernier 5 à 7 du Regroupement québécois de la danse. Artistes émergents et à mi-carrière se sont emparés du micro pour partager avec les personnes présentes leurs questionnements, inquiétudes, conseils pratiques et pistes d’actions potentielles.

En route vers les élections
Une quarantaine de personnes, dont quelques-unes en visioconférence depuis la Maison pour la danse de Québec, se sont rassemblées au café-bar de l’Espace orange du WILDER le jeudi 12 avril 2018 pour échanger sur la précarité en danse et réfléchir aux manières de se mobiliser individuellement et collectivement pour de meilleures conditions de pratique et de travail. La rencontre à saveur politique a permis au RQD d’informer ses membres sur les actions qu’il mène notamment au sein de la Coalition La culture, le cœur du Québec (CCCQ), de sonder les professionnels de la danse sur leurs réalités et leurs enjeux, et de nourrir le feu de la mobilisation en vue des prochaines élections provinciales.

Après avoir dressé un rapide portrait de la situation, le coprésident Lük Fleury a rappelé que malgré l’augmentation du financement du ministère de la Culture et des Communications (MCCQ) au Budget provincial 2018, l’avenir de la danse est loin d’être assuré. Encore trop souvent dans l’angle mort des médias, des politiciens et même du grand public, l’art chorégraphique reste l’enfant pauvre des arts et voit son développement limité. Le ton était donné. Les membres ont saisi la balle au bond.

Composer avec les orientations politiques
Certains artistes ont pointé la difficulté de faire comprendre et reconnaître les nouveaux modèles organisationnels auprès des subventionneurs et des jurys de pairs, signalant notamment des problèmes très concrets comme la limitation du nombre de mots pour les demandes de subvention ou encore, l’inconvénient d’être évalué au mérite artistique pour un organisme atypique rassemblant plusieurs créateurs aux signatures distinctes. D’autres participants se sont montrés inquiets des orientations politiques privilégiant le virage numérique au détriment de la recherche artistique et de la réponse à des besoins criants.

La notoriété ne paye pas le loyer
Des artistes ont saisi l'occasion pour dénoncer le tabou du «travail invisible»: toutes ces heures non rémunérées, sacrifiées au nom de l’art et de la passion au préjudice de la santé mentale et physique. Artistes, pigistes comme salariés, consacrent un nombre impressionnant d’heures non payées (ou si peu) à la coordination de projets et à la gestion des budgets, échéanciers, transports, locations, horaires, conseils d’administration, etc. Trop souvent, l’artiste-entrepreneur se rémunère en dernier lieu, après avoir tenu les comptes et payé ses fournisseurs et collaborateurs. De la même manière, le travailleur culturel aligne les heures bénévoles pour soutenir le développement et le rayonnement artistiques. Certains voudraient nommer ce travail invisible dans leurs demandes et rapports de subventions. C'est ce que le chorégraphe québécois Brice Noeser a décidé d'exprimer haut et fort dans la foulée de l'évènement.

La mobilisation continue
Quelques pistes d’actions potentielles, que le RQD garde en tête pour la suite des choses, ont été partagées dans un esprit collégial et solidaire. À la veille du dépôt du plan d’action de la politique culturelle du Québec, des vœux ont encore été soufflés: que la recherche fondamentale en danse bénéficie de plus de temps, plus de souplesse; que les chorégraphes et producteurs n’aient pas à justifier d’avance les retombées de leurs recherches artistiques; que la fréquentation des arts de la scène devienne obligatoire pour le jeune public, et pas seulement dans les services de garde comme le prévoit le Budget provincial 2018.

Est-ce que ce plan d’action sera à la hauteur de ces attentes? Est-ce qu’il prendra en considération les suggestions que le RQD a formulées à plusieurs occasions au MCCQ? L’avenir très proche nous le dira. Le RQD et le Conseil québécois du théâtre (CQT) éplucheront le document dès sa sortie, prévue en mai, et vous donnent rendez-vous pour un 5 à 7 au QG du FTA, le 5 juin prochain, afin de faire le point sur la nouvelle politique culturelle du Québec. Une parfaite occasion pour rester bien informé et se préparer à d’éventuelles actions. Restons mobilisés!

 

Reconnaître la valeur du travail invisible

Entrave au plein développement de la carrière de chorégraphe, les heures non rémunérées s’accumulent et minent sa motivation au quotidien. Effet direct du 5 à 7 du RQD sur la mobilisation contre la précarité en danse, Brice Noeser a décidé de conclure son prochain rapport de bourse en nommant le travail invisible de l’artiste.

Je conclurais ce rapport de bourse en faisant valoir le besoin de pouvoir être aussi soutenu pour le travail d’administration, de communications et de diffusion qu’impose toute création en danse. Nous, artistes, appelons ça du travail invisible et j’espère qu’en en parlant, à l’oral et à l’écrit, ce travail pourra devenir de plus en plus visible afin qu’on en considère et reconnaisse la valeur. J’ai la chance d’être subventionné et je ne veux pas donner l’impression de me plaindre. Je suis extrêmement reconnaissant envers le jury et le conseil des arts de m’avoir octroyé un montant d’argent qui m’a permis d’offrir à toute l’équipe de bons honoraires. Malgré tout, les montants que je peux me verser concernent uniquement le travail artistique.

Maintenant, j’aimerais que les bailleurs de fonds prévoient des subventions qui permettent à des artistes de garantir un développement de carrière. J’ai besoin de soutien pour le travail invisible d’un projet comme celui que j’ai déposé, mais aussi pour le temps que je mets en dehors de tous les projets qui m’occupent tout au long de l’année. Dans le quotidien d’un chorégraphe indépendant, il peut y avoir de 15 à 20 heures de travail par semaine consacrées à déposer des demandes de résidences, préparer des demandes de bourses, contacter et faire des suivis avec les collaborateurs, avec les programmateurs, reformuler, reformater ou repenser des projets qui doivent correspondre à certaines exigences d’événements, de commandes ou d’objectifs de programmes. Même en recevant une ou deux subventions pour des projets spécifiques, le revenu de chorégraphe ne permet pas de subvenir à lui seul aux besoins de base (loyers, épicerie, transports, appareils de communication). Je ne peux pas me permettre d’engager quelqu’un pour soutenir le travail administratif. Certes, je peux inclure un montant à cet effet dans ma prochaine demande, et j’apprécie que ce soit faisable, mais ça n’aide qu’en partie. Il serait souhaitable qu’un programme existe pour aider des chorégraphes indépendants à se structurer, à s’entourer un minimum, pour pouvoir se concentrer sur l’art.

J’aspire également à adopter un rythme de vie plus sain. Cependant, cela reste difficile, car j’accorde toujours la priorité à mes projets artistiques et je nourris des efforts constants pour développer des contacts avec des partenaires de création et de diffusion. Tout cela représente un investissement en temps et en émotion très important. Les refus sont difficiles à encaisser et découragent toute nouvelle initiative. Le chorégraphe doit pouvoir prendre une certaine distance par rapport à son travail pour en parler, le défendre et prendre toutes sortes de décisions sur les choix stratégiques à faire. Dans l’accomplissement de toutes ces fonctions, je me sens seul, ayant l’impression qu’on me demande d’être plusieurs personnes à la fois.

À la fin du projet qui fait l’objet de ce rapport, et malgré ma grande satisfaction quant à sa réussite et à l’accueil chaleureux du public, j’ai vécu une dépression, épuisé par tous les efforts investis dans la réalisation de tant de tâches connexes et par tant de temps donné gracieusement sans obtenir, finalement, que les personnes décisionnaires ou que certains diffuseurs se déplacent. J’étais épuisé physiquement et émotivement parce que je ne trouvais plus le temps de prendre soin de moi. C’est là que je réalise comme la précarité coûte cher à l’artiste: elle nous coûte pour tout ce temps de travail gratuit qu’on doit faire; elle nous coûte en développement d’expertises et de talents divers (réseautage, administration, rédaction, logistique, communication, stratégie de développement); et finalement, elle nous coûte en santé mentale et physique.

Si l’on veut reconnaître la pratique de chorégraphe comme étant un métier à part entière menant à une carrière professionnelle prometteuse et riche, qui a tout son rôle à jouer dans le milieu culturel québécois, il faut que des aides existent pour épauler les artistes selon leurs besoins et pour leur permettre de se développer, non pas pour devenir de meilleurs gestionnaires, mais pour approfondir leur démarche artistique et garantir le plein épanouissement de leur identité d’artiste.


Brice Noeser, interprète et chorégraphe

Le RQD à votre service!

Plus d’une centaine de membres ont participé au sondage de satisfaction sur les services du Regroupement québécois de la danse, concocté par une équipe d’étudiants du Programme d’animation et recherche culturelles de l’UQAM. Information, promotion, développement professionnel, ressources, assurances, réseautage, rabais, représentation et concertation: nos membres ont pu donner leur avis sur la qualité de différents services et l’usage qu’ils en font. Les membres actifs de l’association recevront bientôt par courriel le bilan détaillé du sondage ainsi que les engagements que souhaite prendre le RQD pour mieux répondre à leurs besoins.

 

34e Rendez-vous annuel des membres

Nous serons ravis de retrouver nos membres pour notre 34e Rendez-vous annuel qui se tiendra cette année le vendredi 12 octobre en après-midi et le samedi 13 octobre toute la journée, à l'Espace Marie Chouinard à Montréal.

Plus de détails suivront bientôt!

Conversation sur les enjeux des danses urbaines

Quelle place pour la danse urbaine dans le système institutionnalisé de formation, de subvention et de diffusion de la danse de création? Comment favoriser son inclusion sans trahir la nature alternative de ce genre de danse qui côtoie plus la rue que la scène? Danseurs urbains, chorégraphes, travailleurs culturels et agents des conseils des arts en ont discuté en mars dernier lors d’une Luncherie organisée par Diagramme gestion culturelle.

Une communauté sans frontières
Faisant partie intégrante d’une communauté soudée et inclusive constituée davantage d’artistes indépendants que de compagnies, les artistes des danses urbaines développent leurs expertises, créent collectivement, échangent avec leurs pairs à l’international, participent à des battles et apprennent de mentors aux quatre coins de la planète.

La relation avec les mentors semble jouer un rôle essentiel dans la transmission des danses urbaines. Loin des parcours de formation institutionnels, les danseurs n’hésitent pas à partir à la rencontre d’un artiste dont ils souhaitent apprendre; ils sont autonomes dans leur formation, qu’ils forgent au gré des rencontres, des battles et de leur pratique, à la faveur d’une riche palette de parcours et de styles individuels.

De la rue à la scène
À Montréal, plusieurs structures permettent aux danseurs de rue de se déployer et de développer leur pratique, de la création à la diffusion. Mais quand vient l’envie de joindre un nouveau réseau de diffusion, d’essayer d’obtenir un financement ou une reconnaissance publics, les danseurs de rue ne se sentent pas aussi outillés que leurs confrères sortis de formations plus académiques.

Un diffuseur de demander: comment accueillir sur scène des danses nées dans la rue et dans les clubs? Est-ce la volonté des danseurs urbains? La question fait débat au sein même de la communauté. Si les artistes des danses urbaines ont développé un public de fidèles et leur propre réseau de diffusion, reste que certains d’entre eux aimeraient se produire sur des scènes plus conventionnelles. On observe d’ailleurs l’apparition de plus en plus fréquente des danses urbaines sur les scènes montréalaises.

Un soutien financier à repenser?
Comment les conseils des arts envisagent-ils de soutenir ces artistes dont les modes de formation et les codes de représentation sortent des sentiers battus?

Les représentants des conseils des arts ont profité de la Luncherie pour rappeler que plusieurs artistes des danses urbaines reçoivent déjà des subventions pour des projets de recherche et création, de perfectionnement et de déplacement, mais aussi pour des projets de production, incluant des battles; ils sont également régulièrement invités à siéger sur des jurys et des comités d’évaluation.

Les artistes présents ont été encouragés à déposer des demandes de financement. Mais si les programmes de subventions ne permettaient pas de les soutenir adéquatement, faudrait-il repenser le système d’évaluation à la lumière des besoins du milieu des danses urbaines? Une artiste a posé la question.

Reste à voir si les danses urbaines trouveront leur pleine place dans les modèles institutionnels actuels ou s’il sera nécessaire d’imaginer de nouveaux cadres et critères, comme, par exemple, la possibilité de déposer une demande de subvention à l’oral plutôt qu’à l’écrit.

Répertorier/documenter pour exister
Des échanges fructueux ont porté sur la nécessité pour les artistes de documenter les pratiques des danses urbaines, non seulement pour faciliter l’évaluation des jurys des conseils des arts, mais aussi pour assurer la pérennité des savoirs, la transmission des styles de danse et de leur histoire.

Les danses urbaines sont ici confrontées au même défi que tout art du mouvement ou de l’oralité: elles se vivent et se créent au présent.

Une chose est sûre, le dialogue avec les institutions est maintenant ouvert.

 

Où en est la danse autochtone au Kebec? / Tan Skicinuwey pemkamok kebec eliyewik?

En mai 2017, Ondinnok organisait l’État des lieux sur les arts autochtones. Assis en cercle, visages connus et moins connus, jeunes et moins jeunes, nous étions là pour raconter et partager notre histoire, nos expériences en tant qu’artistes autochtones du Québec. Près d’un an plus tard, alors que vient d’être publié le Manifeste pour l’avancement des arts, des artistes et des organisations artistiques autochtones au Québec, que j’ai évidemment signé, qu’en est-il de l’avancement de la danse autochtone sur le territoire?

Amener la danse dans les communautés
Personnellement, j’ai commencé à danser à l’adolescence, lorsque je ne trouvais pas les mots pour exprimer ce que je vivais à l’intérieur de moi. J’ai exprimé beaucoup de choses en dansant, sans avoir à les expliquer. Ayant séjourné dernièrement en communauté malécite de Tobique pendant deux mois, j’ai été étonnée de voir que la danse est un des moyens d’expression artistique parmi les moins présents. Pourtant, je suis certaine que la danse a beaucoup à apporter dans les communautés plus isolées et qu’elle peut jouer un rôle positif autant sur l’équilibre émotionnel, le respect du corps, la guérison, le développement de talents que la confiance en soi. 

Les autochtones dans les communautés contribuent à la diversité et à la richesse du Québec en termes de culture, de perspectives nouvelles et de lien avec le territoire. Ils ont beaucoup à transmettre. La danse serait une belle solution à la revitalisation de la culture et des légendes.

Pour reprendre ce que j’ai dit lors de l’État des lieux en mai dernier: «Il y a des gens qui ne sont pas prêts à parler (…) qui ne sont pas prêts à montrer leur art parce qu’ils n’ont pas confiance en ce qu’ils ont à dire. Je pense que c’est ça qu’il faut travailler: prendre le temps de s’asseoir avec une personne et lui dire: "Maintenant, tu peux le dire, tu as l’espace neutre pour le dire."»

Pendant 4 semaines, j’ai eu l’opportunité d’offrir des cours de danse aux jeunes de l’école primaire Mah-Sos de la communauté de Tobique. J’ai pu constater à quel point les enfants ressentaient du plaisir et de la libération dans ces moments de danse. J’ai pu remarquer l’aisance d’un jeune garçon malécite qui était le premier à répondre aux questions sur le tambour et la danse. Son enseignante m’a ensuite expliqué qu’il parlait très rarement aux gens et qu’elle était agréablement surprise de l’avoir vu participer si activement au cours.

Développer le regard du public
La danse autochtone demande aussi à se raconter. Son histoire gagnerait à être enseignée dans les cours d’histoire de l’art et dans les écoles de danse du Québec. On commence tout juste à entendre l’intérêt des établissements scolaires québécois pour intégrer l’art autochtone. Mieux vaut tard que jamais!

Je suis convaincue que le public serait plus disponible et aurait un œil plus aiguisé s’il avait accès aux inspirations et aux codes de lecture de la danse autochtone. J’assistais au spectacle FLICKER de Dancers of Damelahamid présenté par Danse Danse dont une abonnée déplorait un manque de technique. J’étais loin d’être d’accord avec elle, considérant la pratique assidue de la compagnie à revigorer les chants et les danses autochtones depuis 50 ans. Pour moi, le rythme, les intentions et la douceur nourrissaient la grande qualité de la pièce. La technique n’est pas seulement dans les corps musclés qui effectuent des prouesses fluides et souples, elle réside aussi dans la justesse des mouvements empreints d’histoire et intergénérationnels des personnages.

J’aimerais profiter de cette tribune pour rendre hommage aux chorégraphes et interprètes autochtones que l’on peut retrouver sur nos scènes. Je pense à Lara Kramer, avec sa compagnie Lara Kramer Danse et à Daina Ashbee, acclamée par le public. Je pense encore à Barbara Diabo et à Leticia Vera, que je vous invite à surveiller. Vous êtes curieux et aimeriez en savoir plus? Je vous invite donc au prochain événement sur la danse autochtone à Tangente, Corps entravé, corps dansant, où la grande majorité de ces artistes seront présentes. Il me ferait un grand plaisir de vous y voir.

Pour une société plus équilibrée, il est primordial d’écouter chacun qui la compose. L’art provoque des échanges et des dialogues. La danse autochtone ne demande qu’à être vue et à se développer. 

 

Ivanie Aubin-Malo
Interprète, enseignante et chorégraphe en danse contemporaine et Pow Wow.
Québécoise et Malécite. 

 

Des nouvelles encourageantes pour la lutte contre le harcèlement dans les arts

Alors que le gouvernement québécois vient d’annoncer un investissement historique de 900 000 $ pour lutter contre le harcèlement et les agressions sexuelles dans les arts et la culture, le Regroupement québécois de la danse se retrousse les manches pour apporter des solutions spécifiques au milieu de la danse.  

Un guichet unique pour les victimes du secteur culturel
Grâce à la mobilisation commune de regroupements et d’associations disciplinaires et syndicales en écho aux multiples dénonciations de harcèlement dans les milieux artistiques, le gouvernement s’attaque aujourd’hui au problème avec deux initiatives concrètes. D’une part, l’Institut national de l’image et du son (INIS) développera une offre de formations préventives pour l’ensemble du secteur culturel; d’autre part, Juripop aura le mandat de mettre sur pied un guichet unique afin de conseiller, orienter et accompagner les victimes d’inconduites sexuelles. Une avocate sera embauchée à temps plein dès la fin de l’été pour traiter les demandes issues de toute la province, toutes disciplines artistiques confondues.

Le milieu de la danse s’organise
Collaborant depuis l’automne dernier avec un groupe de professionnelles du milieu de la danse ayant été victimes d’abus, le Regroupement québécois de la danse (RQD) estime qu’il reste des besoins spécifiques à la discipline à prendre en considération, des outils à créer et des actions à mener. Avec le corps comme principal outil de travail, parfois poussé au-delà des limites physiques et sensibles, la danse professionnelle semble particulièrement vulnérable au harcèlement psychologique, aux abus physiques, voire sexuels.

Pour prendre la situation à bras le corps, le RQD travaille étroitement avec le Centre de ressources et transition pour danseurs (CRTD) et l’UDA, avec lesquels il s’était déjà mobilisé pour établir des recommandations qui ont mené à la production et à la signature de la Déclaration pour un environnement de travail exempt de harcèlement dans le milieu culturel québécois. Au cours des prochains mois, les trois organismes poursuivront leur réflexion commune en orientant leurs travaux autour de trois objectifs: élaborer une politique contre le harcèlement, examiner les besoins de formation spécifiques à la danse en matière de harcèlement et œuvrer à la sensibilisation du milieu par l’élaboration, le recensement et la transmission d’outils concrets pour lutter contre le harcèlement sous toutes ses formes.

Cette implication du gouvernement et des organismes culturels contre le harcèlement est de la plus haute importance pour accompagner un nécessaire changement de culture et de mentalité. Espérons maintenant que toutes ces actions concertées pour éliminer les abus ouvriront la voie à un climat social où le respect, la bienveillance, les espaces sécuritaires ainsi que l’intégrité physique et psychologique seront valorisés et appliqués dans nos milieux de travail.
 

Plus d’informations
Sur les investissements du gouvernement


Sur le harcèlement en danse

 

 

Budget provincial 2018: un budget séduisant à accueillir avec prudence

Une fois n’est pas coutume, le budget 2018 est plutôt généreux pour les arts et la culture. Présentant des investissements inégalés depuis près de 20 ans et pour certains desquels le Regroupement québécois de la danse (RQD) se bat depuis plus d’un an au sein de la Coalition La culture, le cœur du Québec (CCCQ) – rappelez-vous nos rassemblements à Montréal et à Québec, nos pancartes, nos campagnes sur les médias sociaux, nos lettres aux députés – le gouvernement québécois semble avoir enfin entendu notre cause! Les investissements significatifs de ce budget préélectoral sont pourtant bien en deçà du seuil de 2% du budget total que nous recommandions. C’est donc partagé entre enthousiasme et prudence que nous recevons ce budget. 

Quelques chiffres à retenir
Avec un investissement total de 539 millions de dollars sur cinq ans pour les arts et la culture, dont 509 millions pour la mise en œuvre de la Politique culturelle, ce budget est historique. Voici les éléments qui retiennent l’attention du RQD:

  • 100 millions sur cinq ans seront alloués au Conseil des arts et des lettres du Québec (CALQ) et à la Société de développement des entreprises culturelles (SODEC) pour soutenir la création, la production, la diffusion d’œuvres québécoises.
  • 35 millions de dollars sur cinq ans seront consacrés aux sorties culturelles des élèves en service de garde en milieu scolaire.
  • 40 millions de dollars soutiendront les entreprises culturelles dans le virage numérique.
  • Le crédit d’impôt pour un premier don important sera prolongé ces cinq prochaines années.
  • Le budget du ministère de la Culture et des Communications augmentera de 11% dès 2018-2019.
  • En raison des surplus générés par la croissance économique, le gouvernement prévoit un rattrapage dans le budget en cours (2017-2018) avec des investissements non récurrents dans l’action éducative, le rayonnement des institutions culturelles, la culture et le patrimoine dans toutes les régions.

Jetez un œil aux principales mesures dédiées à la culture dans ce document préparé par la CCCQ.

Des questions demeurent
L’enjeu crucial des conditions socio-économiques des artistes et des travailleurs culturels est encore sur la glace. Rien n’assure à ce jour, en effet, que le Plan d'action en faveur des ressources humaines soumis par la Coalition La culture, le cœur du Québec sera intégré à la Politique culturelle et à sa mise en œuvre. Quant au renforcement du lien entre culture et éducation, il suscite encore de nombreuses interrogations.

De ce budget 2018, le RQD salue la reconnaissance de la culture comme un secteur stratégique et la bonification du soutien à la création et aux artistes qu’il promet. Reste à voir si les promesses sur cinq ans qu’il engage aujourd’hui pourront être maintenues après les élections d’octobre prochain. Reste aussi à voir quels seront ses impacts concrets à la lumière du plan d’action de la Politique culturelle que le gouvernement dévoilera avant l’été. Quelle somme sera précisément allouée au CALQ et quels choix d’investissements ce dernier en fera? Le suspens demeure entier. Restons informés. Restons mobilisés.

 

Lire aussi
Communiqué de la Coalition la culture, le cœur du Québec
Communiqué du Mouvement pour les arts et les lettres

 

Une délégation danse au CALQ

Six membres du Regroupement québécois de la danse (RQD) et sa directrice générale se sont rendus au Conseil des arts et des lettres du Québec (CALQ), le 21 mars dernier, dans le cadre de consultations entourant le plan stratégique 2018-2022 de la société d’État. Dans l’attente du dépôt du budget provincial qui a finalement fait état d’une augmentation des budgets conjoints du CALQ et de la SODEC de 100 M$ sur cinq ans, la délégation a abordé deux grands thèmes : les enjeux du devenir de la danse professionnelle au Québec ainsi que le fonctionnement du CALQ et ses relations avec notre milieu.

Aux côtés des coprésidents Jamie Wright et Lük Fleury, qui ont respectivement traité de la répartition des montants alloués à la danse et des modèles organisationnels atypiques, la chorégraphe et directrice artistique de MAYDAY Mélanie Demers a pointé les enjeux du renouvellement générationnel et disciplinaire, la directrice de l’Agora de la danse Francine Bernier s’est attachée aux questions de diffusion et de circulation des œuvres, et la chorégraphe-interprète de Québec Geneviève Duong a défendu la nécessité de soutenir le développement territorial de la danse. Soulignant l’importance de la cohérence des investissements dans le secteur, de la concertation avec le milieu et de la transparence dans les communications du CALQ, Bernard Lagacé, le directeur général de Diagramme Gestion culturelle, a exposé nos interrogations quant aux critères d’attribution des subventions et le besoin de mieux outiller les jurys, comités d’évaluation et personnels du CALQ pour une meilleure connaissance de la complexité de l’écologie de la danse. La directrice générale du RQD, Fabienne Cabado, a quant à elle plus spécifiquement mis en perspective les notions d’équité et de souplesse en faveur des clientèles.

Reçue par Anne-Marie Jean, présidente-directrice générale du CALQ, Marie Daveluy, secrétaire générale et directrice de la planification et des affaires institutionnelles, Véronique Fontaine, directrice du soutien aux organismes création et de production et de diffusion et Geneviève Béliveau-Paquin, chargée de recherche, de développement et de planification, la délégation danse a bénéficié d’une bonne écoute et s’est réjouie de l’invitation à des rencontres de ce type plus régulières pour bonifier la collaboration entre le CALQ et le RQD. Elle n’a cependant pas obtenu toutes les réponses à ses questions.

Précisions et perspectives
Interrogée sur la disparité inquiétante dans l’octroi des subventions à la mission et à la programmation spécifique (fonctionnement), Anne-Marie Jean a argué qu’en l’absence de fonds supplémentaires en 2017-2018, le CALQ avait procédé à une mise à niveau d’organismes particulièrement performants et encore sous-financés comparés à leurs homologues d’autres disciplines. Elle a ajouté que les années à venir seraient consacrées au développement des organismes. Concrètement, il s’agirait d’accueillir de nouveaux organismes au fonctionnement, d’une mise à niveau des structures sous-financées et d’une reconnaissance des particularités territoriales.

Sachant que les subventions de la moitié des 58 organismes soutenus cette année sont inférieures à 100 000 $, que trois d’entre eux récoltent plus de 35 % des crédits totaux accordés au fonctionnement et que huit d’entre eux seulement sont basés hors Montréal, on mesure l’ampleur de l’investissement à opérer. Sans compter la pléthore de créateurs et organismes qui dépendent des subventions à projet et des bourses dont le CALQ dit souhaiter augmenter l’enveloppe qui est, de longue date, très insuffisante pour satisfaire à la demande. Ainsi, si l’on se réjouit qu’en 2018-2019 le CALQ et la SODEC aient 17,4 M$ de plus à se partager, il y a encore loin de la coupe aux lèvres en matière de financement de la danse.

 

Briser le silence sur le harcèlement en danse

Organisée par les professionnelles de la danse Geneviève C. Ferron, Lara Kramer, Victoria May et Sonya Stefan, une Table ronde sur la culture du viol et le harcèlement en danse a eu lieu le 1er mars dernier au Théâtre Mainline. L’évènement réunissait les panellistes Marie-France Forcier, auteure du texte Code of silence, Audray Lemay, sexologue et psychothérapeute, ainsi que Pamela Plourde, intervenante sociale pour les Centres d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel (C.A.L.A.C.S). Retour sur cette rencontre qualifiée d’historique par la coprésidente du RQD, Jamie Wright, qui animait les échanges.

Une culture à transformer
Dans la foulée du mouvement #Metoo, le partage de témoignages et de textes s’est multiplié ces derniers mois sur de nombreuses plateformes, permettant de plus claires acceptions des concepts liés aux agressions sexuelles. Pamela Plourde précise qu’une agression sexuelle peut être commise avec ou sans contact physique. «Ce sont juste des attouchements!», «On ne peut plus faire de compliments!» sont de ces phrases fréquemment entendues qui contribuent à banaliser les gestes abusifs, selon Audrey Lemay, surtout dans le contexte de la danse où le contact physique et le rapprochement des corps sont choses quotidiennes. La sexologue ajoute que les racines de la culture du viol sont celles qui maintiennent les mécanismes qui excusent les agresseurs et permettent leur impunité.

L’art de semer le doute
Les conférencières de la table ronde ont tour à tour démystifié les termes moins connus de grooming et de gaslighting (qui n’ont, à ce jour, pas d’équivalents en français). Le grooming est de plus en plus évoqué dans les cas d’inconduites sexuelles commises auprès de mineures (mais pas seulement) dans les milieux d’enseignement, entre autres. Il s’agit d’une forme de manipulation de la part d’un prédateur en position d’autorité, qui induit une impression de confusion et de culpabilité chez les victimes. C’est toute la notion de consentement qui est mise à mal dans les situations de grooming, rendant la culture du silence si difficile à briser.

Le gaslighting est quant à lui une stratégie employée par l’agresseur pour faire douter la victime de sa mémoire par le mensonge, la négation ou la déformation des faits, l’affirmation qu’il y avait consentement, etc. L’effet pervers du gaslighting est qu’il fait non seulement douter la victime, mais aussi l’entourage. Car les abus ne se produisent pas seulement en privé, dans les coulisses ou dans les loges; ils se produisent en répétition, devant d’autres personnes et même sur scène.

Dénoncer et prévenir: des nuances s’imposent
Comment briser la loi du silence et mettre en place des mesures de prévention ancrées et durables pour les artistes en danse alors que les victimes doutent d’elles-mêmes, alors qu’elles ne sentent pas qu’elles peuvent compter sur la solidarité de leurs collègues ni sur celle des autorités en place? Difficile lorsqu’on épargne un agresseur en rappelant ses «bons côtés», ses «bons coups». Difficile lorsqu’on connaît le coût psychologique et les conséquences de la dénonciation sur la carrière, la réputation et les liens avec les membres de la communauté.

Selon Audrey Lemay, on rate la cible en faisant de la prévention auprès des victimes. L’enjeu est systémique. Sur les doutes qui persistent dans le milieu de la danse quant à la réalité du harcèlement, il est nécessaire selon elle «d’inverser le narratif»: c’est aux autres de prouver que ça n’arrive pas, de faire valoir leur connaissance de la situation plutôt que leur opinion. Si dans une société de droit, la présomption d’innocence est essentielle, elle propose d'accueillir désormais la présomption de vérité chez les victimes et les témoins qui ont le courage de dénoncer les abus.

Respecter ses limites et en finir avec le sentiment de culpabilité
Les intervenantes ont invité les victimes de harcèlement ou d’abus qui hésitent à dénoncer leurs agresseurs à se poser les questions suivantes: est-ce que j’ai peur des conséquences? Est-ce que j’ai peur de perdre mon travail et mes sources de revenus? Est-ce que je me sens libre de quitter la situation? Lorsqu’on est conditionné par la peur et que l’on ne se sent pas libre, il y a un problème. Il est important de reconnaître son propre seuil de tolérance et de respecter ses limites. Si les conférencières encouragent la dénonciation, elles invitent à faire preuve de prudence sur les réseaux sociaux et mettent en garde contre les risques de commentaires haineux, de menaces et de poursuites pour diffamation. L’important est de se sentir en paix avec notre décision, qu’elle soit de dénoncer, ou non.