Agent de développement, représentant d’artistes, chargé de diffusion, la fonction porte plusieurs titres, à l’image d’un métier complexe aux multiples facettes et à la pluralité de modèles. Pour mieux saisir leur rôle dans l’écosystème de la danse et des arts de la scène, le Regroupement québécois de la danse a questionné quatre agents sur les réalités et les défis du métier en 2018. La parole à Valérie Cusson, Gilles Doré, Stéphanie Hinton et Pascale Joubert.
Quel rôle joue l’agent dans l’écosystème de la danse? En quoi ce rôle est-il essentiel selon vous?
Gilles Doré – Le représentant d’artistes, à ne pas confondre avec l’agent, est à la fois accompagnateur, consultant en développement, passeur et scellant entre l’artiste et les partenaires de l’écosystème. Au fil des années, il a acquis des contacts nichés, développé des réseaux nationaux et internationaux et conquis de nouveaux territoires. Il est, selon moi, un messager artistique, un diplomate, parfois même un ambassadeur… Solidaire des réussites et des échecs de l’artiste, il saura défendre l’œuvre dans la mesure du possible sans être ni un sauveur ni un vendeur sous pression.
Pascale Joubert – L’objectif du travail de développement est de mettre en lien des artistes avec des organisations, des programmateurs, des commissaires et d’autres artistes. Pour réaliser ces premières mises en contact ciblées et qu’un projet commun inspirant se dessine, beaucoup de recherches, de rencontres et de travail sont nécessaires. La majorité des artistes n’ont ni le temps ni l’envie de faire ce type de démarches qui peuvent sembler ingrates, et avec raison, car la gestion de leur entreprise est chronophage et ils manquent déjà de temps de création.
Stéphanie Hinton – Avec le diffuseur, l’agent de diffusion forme une courroie de transmission qui permet au chorégraphe de rejoindre son public. Le travail de prospection, de rencontres, d’entretiens de liens et de relances est un travail à temps plein. L’artiste en début de carrière n’a pas le choix de jongler avec toutes ces balles, mais lorsque sa carrière se développe, ces tâches gagnent à être déléguées.
Valérie Cusson – L’offre étant largement plus élevée que la demande dans le milieu de la danse, les compagnies doivent se consacrer avant tout à la création et au perfectionnement de leur pratique afin de se tailler une place dans le marché déjà contingenté. Le développement des réseaux de contacts prend un temps considérable, jusqu’à plusieurs années, et l’agent spécialisé libère l’artiste de ce travail de longue haleine.
Et vos liens avec les programmateurs?
Pascale Joubert – En plus d’œuvrer à faire connaître et à promouvoir le travail des artistes pour que de réelles rencontres artistiques aient lieu, notre rôle de négociateur/médiateur, en vue de conclure des ententes concrètes, est également essentiel. Défendre de bonnes conditions pour les artistes en prenant compte de la réalité de nos partenaires est en soi un défi. Notre position d’intermédiaire permet des discussions plus franches, sans que les sensibilités liées au travail artistique n’interviennent.
Valérie Cusson – Je considère avoir des responsabilités envers l’artiste, mais également envers les programmateurs, à qui je dois offrir un choix de spectacles stimulants et qui répond à leurs besoins ainsi qu’à ceux de la communauté artistique à laquelle j’appartiens. Mon rôle en est un de « facilitatrice » entre ces divers acteurs.
Gilles Doré – Le représentant d’artistes doit s’assurer de maintenir le canal de communication et des liens de qualité avec les programmateurs. Il doit toujours penser à rapprocher concrètement l’œuvre et le programmateur, par exemple en offrant des clés de lecture d’un spectacle, ce qui aidera aussi le programmateur à mieux les faire connaitre auprès de son public.
Selon vous, quels sont les plus grands défis du métier d’agent aujourd’hui ?
Valérie Cusson – L’accès difficile au financement ou à diverses formes de soutien (subventions, honoraires, mentorat) est définitivement l’un des plus grands défis du métier. Les conditions financières difficiles découragent les nouveaux candidats. Ils sont placés dans une précarité qui les mène à devoir renoncer à la profession ou à devoir multiplier les contrats et les engagements secondaires afin de subvenir à leurs besoins de base. Les compagnies de danse se trouvant elles-mêmes dans une situation de précarité, elles peinent à verser des honoraires pour le travail de développement. Ces conditions obligent souvent l’agent à travailler seul et à devoir maîtriser et assumer toutes les facettes de son entreprise.
Gilles Doré – Pour moi, le plus grand défi est le changement générationnel qui s’effectuera au cours des dix prochaines années. Comment bien le faire et transmettre les connaissances d’une génération à l’autre? Comment pérenniser l’expertise des réseaux internationaux acquise dans le milieu? Aussi, nous vivons présentement une période de grand changement et de volatilité des valeurs culturelles ainsi que de l’économie de la culture (plusieurs pays ont coupé ou remodelé leur financement aux arts, des programmateurs prennent des décisions de plus en plus tardives, les danseurs doivent jongler entre plusieurs projets, mettant en péril des possibilités de tournées, etc.). Dans ce contexte, le modèle d’affaire de l’agent en danse rémunéré par commission n’est plus viable qu’avec des compagnies dont les spectacles sont axés vers le grand public ou le public jeunesse, qui assurent annuellement un bon nombre de représentations. Le représentant d’artistes doit développer des carrières artistiques dans un rayonnement niché.
Stéphanie Hinton – Selon moi, le plus grand défi du métier est la reconnaissance et la valorisation de notre rôle auprès des artistes, des diffuseurs et des structures gouvernementales, sans quoi il sera très difficile d’attirer une relève vers la diffusion. Heureusement pour les agents qui représentent trois artistes ou plus (la situation n’est pas aussi heureuse pour les chargés de diffusion au sein des compagnies), le Conseil des arts du Canada a fait de grands progrès à cet égard, et nous offre un soutien enviable si on se compare aux agents à l’international, qui souvent n’ont accès à aucune subvention pour leur travail. D’un point de vue plus personnel, je crois que le plus grand défi consiste à concilier vie privée et déplacements, qui dans mon cas s’élèvent à environ 150 jours par année. Comme femme et sans filet de sécurité, je me demande notamment quelles incidences cela peut avoir sur la vie familiale, et comment il serait possible de repenser les méthodes de travail afin de ne pas avoir à faire le choix entre vie personnelle et professionnelle.
Pascale Joubert – Il manque cruellement de reconnaissance du travail de fond du spécialiste de développement et de diffusion et des expériences qu’il accumule au fil de ses voyages et de ses rencontres. Nous développons une panoplie de connaissances et un regard critique sur, entre autres, les innovations artistiques et organisationnelles, la diversité de modèles d’événements et d’initiatives promotionnelles des arts de la scène à l’international. Cette compréhension approfondie des différents réseaux et des manifestations culturelles dans le monde est généralement sous-exploitée dans notre propre milieu, car méconnue. Avec une meilleure reconnaissance, pourrions-nous espérer avoir accès à des programmes de soutien diversifiés et adaptés aux différents modèles de notre métier? Pourrions-nous également soutenir par de nouvelles initiatives innovantes les nombreux artistes à la recherche d’agent et former la relève qu'il manque au métier?
Valérie Cusson, agente de développement – La Fondation de danse Margie Gillis, Le Patin Libre, Rhodnie Désir Créations, Lucie Grégoire Danse, ezdanza, Shantala Shivalingappa.
Gilles Doré, Art circulation – Montréal Danse, PAR B.L.Eux, MAYDAY, Danse-Cité, maribé sors de ce corps.
Stéphanie Hinton, FÔVE Diffusion – Compagnie Marie Chouinard, Clara Furey, Compagnie Virginie Brunelle, Bill Coleman, Aurélie Pedron / Lilith & Cie, Alix Dufresne & Marc Béland.
Pascale Joubert, développement et diffusion – Sylvain Émard Danse et le Théâtre de la Pire Espèce.
Pour prolonger la réflexion…
Assistez à la table ronde internationale Agents et producteurs: forger des maillons forts, présentée le dimanche 3 juin 2018 dans le cadre des Terrains de jeu du FTA. Animée en anglais par Denis Bergeron, elle réunira les invités Lene Bang Henningsen (Copenhague), Dani Fecko (Vancouver), Magnus Nordberg (Stockholm), Menno Plukker et Sarah Rogers.