Rencontrer plein de monde, parcourir le globe, voir beaucoup de spectacles, les bons côtés de la vie de l’agent de diffusion indépendant cachent pourtant un statut précaire et de difficiles conditions d’exercice. Dans le milieu de la danse au Québec, alors que l’on peut compter sur les doigts de la main le nombre d’aventuriers en la matière, le départ récent de l’un d’entre eux vers un autre secteur nous amène à nous pencher sur les défis particuliers et les exigences du métier. Témoignages de Denis Bergeron et Stéphanie Hinton.
Agents sous pression
Si la diffusion est primordiale pour les artistes, le manque d’agents de diffusion se fait cruellement ressentir dans le milieu de la danse. Il faut dire que les conditions du métier en décourageraient plus d’un. Au-delà des spectacles à vendre et des tournées à "booker", l’agent doit stimuler le développement des compagnies qu’il soutient, créer et entretenir un lien de confiance avec les diffuseurs, renouveler les manières de présenter un artiste, élargir sans cesse ses réseaux et, bien souvent, se heurter aux courriels restés sans réponse et aux refus. Tout cela, dans un contexte de resserrement des marchés, particulièrement en Europe où certains diffuseurs ont vu leurs enveloppes budgétaires fondre comme neige au soleil. «La pression est énorme. Il faut absolument que les œuvres québécoises rayonnent à l’étranger, mais il est de plus en plus difficile de faire de la tournée autant au Canada qu’à l’international», constate l’agent indépendant Denis Bergeron. Fatigué des efforts soutenus que sa fonction exige en contrepartie d’une rétribution financière fluctuante et incertaine, il renonce aujourd’hui au métier après plusieurs années de loyaux services.
Son homologue Stéphanie Hinton signale une autre embûche au rayonnement international des artistes québécois: «Les coupes budgétaires relatives aux attachés culturels dans les ambassades canadiennes et délégations québécoises se sont soldées par une grande perte de savoir collectif sur les territoires desservis (…) Les attachés culturels sont essentiels: ils nous guident et nous soutiennent; ils sont nos yeux et nos oreilles, surtout dans des marchés plus nichés comme les arts de la scène contemporains.» Dans le même esprit, le Regroupement québécois de la danse (RQD) a profité d’une consultation publique du ministère des Relations internationales et de la Francophonie, en octobre 2016, pour souligner la nécessité de renforcer la mission des attachés culturels en vue de bonifier la présence des artistes québécois à l’étranger.
Travailler à crédit?
Pas de salaire fixe pour ces travailleurs autonomes, mais une commission de 15% à 20% sur la vente de spectacles et un coup de pouce du Conseil des arts du Canada avec son programme de subvention du Bureau du développement des marchés et des publics. Et si leurs frais de participation aux marchés internationaux sont couverts par leurs clients, ils ne reçoivent toutefois pas nécessairement de rémunération pour le temps précieux consacré au développement. «Un travailleur culturel en début de parcours n’a pas de fonds de roulement. Or, comme les billets d’avion qui se paient des mois à l’avance, plusieurs dépenses sont encourues à crédit», déplore Stéphanie Hinton. Elle précise que le retour sur investissement peut être long pour l’agent indépendant. Vu la complexité du cycle de diffusion, il s’écoule parfois jusqu’à deux ans entre le premier rendez-vous avec l’artiste et le versement effectif d’une commission au terme de la présentation publique d’un spectacle.
Dans ce contexte, les agents indépendants plaident pour une plus grande reconnaissance et un financement adéquat. À ce sujet, les milieux artistiques se sont fortement prononcés en faveur d’un soutien public aux agents, comme en témoignent les résultats du sondage mené par le Conseil des arts et des lettres du Québec (CALQ) auprès de ses clientèles en 2014: près de 60 % de l’ensemble des répondants estiment important que le CALQ soutienne les intermédiaires de la circulation des œuvres, tels que les agents et les opérateurs de tournées, et 27 % le jugent «très important».
Avant de tirer sa révérence, Denis Bergeron y va d’une dernière suggestion: «créer pour les agents un programme de subvention provincial similaire à celui du Bureau du développement des marchés et des publics du Conseil des arts du Canada ou que la SODEC ouvre aux agents en danse ses programmes dédiés aux gérants d’artistes en musique». À étudier.
Indépendant ou salarié?
Certains chorégraphes n'ont pas d'autre option que d'assurer eux-mêmes la diffusion de leurs spectacles hors Québec. Selon leurs moyens et leur philosophie, d'autres artistes et organismes ont la possibilité de faire appel à un agent indépendant ou d’embaucher un chargé de diffusion. L’organisme montréalais Art Circulation propose quant à lui un modèle d’affaires basé sur le partage de ressources en assurant le développement de marchés pour cinq compagnies membres.
Pour leur part, Denis Bergeron et Stéphanie Hinton ont choisi l’indépendance et la revendiquent. Elle leur offre l'avantage de dénicher des voix artistiques intéressantes, de choisir les artistes qu'ils représentent et de développer une vision.
Qu’il soit salarié ou indépendant, l’agent de diffusion et de développement joue un rôle clef dans l’écologie des arts de la scène. Les membres du RQD le rappelaient encore au Rendez-vous annuel d'octobre dernier en nommant prioritaire la reconnaissance du rôle essentiel de leur fonction dans la chaîne de la danse. À cette fin, le Regroupement québécois de la danse réalisera dès l’année prochaine une Charte de compétences de l’agent de diffusion en danse qui posera les bases d’un Profil de compétences, à l’instar de ceux réalisés pour les chorégraphes, répétiteurs et gestionnaires en danse.