Échos du milieu | La valorisation de l’expression corporelle en passant par l’expérience sensorielle par Mélia Boivin
par Mélia BoivinLa danse m’invite à colliger des indices, à enquêter, à découvrir une infinité de potentiels. Dernièrement, j’apprivoise et goûte à certaines approches d’éducation somatique qui m’inspirent à penser et à agir différemment. Cette quête quotidienne me motive donc à me renouveler tant sur le plan personnel que professionnel. Ce que j’apprivoise en visitant l’inconnu me permet d’alimenter cette soif d’apprendre et me propulse tant dans mes élans réflexifs que créatifs.
Mon précédent parcours universitaire en anthropologie sociale et culturelle a semé chez moi cette curiosité à rechercher et à déconstruire. Dans ma pratique de la danse, je suis donc interpellée à l’idée de pister le territoire des sensations. Par le biais de la somatique, je m’exerce entre autres à mettre des mots sur mon expérience sensible: un défi notable. Je m’intéresse alors à tout ce qui ponctue le processus d’apprivoisement du corps dans son intégralité en adoptant une attitude réceptive, et en faisant preuve d’adaptabilité. Quoi qu’assez confrontante comme expérience, parfois même casse-tête, mais ô grand jamais « casse-corps », j’apprends à prendre soin.
Au moment où je rédige ces quelques lignes, je me retrouve à mi-chemin dans mon parcours d’études au DESS en éducation somatique au Département de danse de l’UQÀM. C’est d’ailleurs dans ce contexte, et même lors de mon cheminement au BAC en danse (2019-2022), que j’ai pu côtoyer Linda Rabin (Continuum Movement), Mariko Tanabe (Body Mind Centering), Lucie Beaudry (Feldenkrais), Johanna Bienaise (champ émergent des écosomatiques) et plusieurs autres intervenant.es et praticien.nes issu.es d’autres approches et méthodes de la discipline. Ces différentes rencontres ont significativement contribué au déploiement de ma pratique et à mon émancipation personnelle.
Au sein de ma démarche artistique, je cherche à valoriser l’expression corporelle en passant par l’expérience sensorielle. Je questionne les effets directs et indirects d’une sensation, je tente de la situer dans ses relations avec le temps, l’espace et les autres composantes de l’environnement. Je m’amuse à parcourir de longues sessions d’improvisation et à observer ce vaste champ des possibles qui se déploie. Je suis principalement stimulée par les rencontres plurielles et éphémères entre le corps et ses sensations. Les états du corps sont changeants, les studios, les salles ou les espaces en plein air que je visite me demandent constamment de m’ajuster. Rien n’est figé. Chaque contexte, formel ou non, m’apprend beaucoup sur mes forces et mes défis.
Mes explorations influencées par les pratiques somatiques m’ont intéressé vis-à-vis la notion de « pattern », souvent associée à une connotation négative comme un mauvais plis ou une mauvaise habitude. J’envisage l’éducation somatique comme un terrain de jeu où, par l’entremise de clés comme l’attention, l’adaptabilité et la prise de conscience il soit possible de prendre action et d’intervenir auprès d’habitudes ancrées. Ces clés sont des outils pour agir avec soin et sensibilité sur mes habitudes gestuelles parfois confortables ou inconfortables, parfois appréciées ou détestées. Les approches somatiques me permettent de défier mes « patterns » dansés sans toutefois les rejeter. Ils sont intéressants à étudier considérant qu’ils influencent significativement notre locomotion ou notre posture. Ils sont au cœur du développement de notre subjectivité, surtout dans le contexte d’une pratique en arts vivants où l’expression corporelle est étroitement liée à notre bagage de vie plus intime. Mes « patterns » me permettent de remettre en question, de manière constructive, le comment et le pourquoi je danse de telle ou telle manière. À mon sens, c’est une invitation au renouvellement de ma pratique. Ah, ces « bonnes vieilles habitudes », je les embrasse davantage aujourd’hui.
Cette expérience en mouvement par le biais des approches somatiques a contribué à insuffler chez moi une réflexion à propos de comment, instinctivement, je situe ma relation avec le monde et comment je peux me laisser porter à voir et percevoir autrement. À questionner aussi ce que m’évoquent ces rencontres avec l’autre qu’humain (les animaux, la végétation, les éléments eau-air-terre-feu, par exemple). Ce précieux exercice de la pensée m’a aussi permis de réfléchir à quoi ou à qui je m’identifie, contribuant alors à ce sentiment d’appartenance que j’entretiens vis-à-vis les approches somatiques, celles-ci prenant finalement beaucoup de place dans mon quotidien et dans ma pratique artistique.
La danse habite mon quotidien depuis plusieurs années, les mouvements qui m’entourent semblent issus d’une chorégraphie éternelle. La danse est une expression vivante, qui fait du bien.
Mélia Boivin
Crédits photos :
Exploration sensible en plein air pour le projet Se désabriller de l’hiver, création de Mélia Boivin © Nicolas Padovani
Performance solo à Passerelle 840 – été 2022, exploration tactile et textile © Jeanne Tétreault
Recherche en studio: découvrir l’expression du corps par le toucher © Flore Bibeau