Être queer et le crier sur tous les toits – Enjeux de visibilité en danse contemporaine par Mara Dupas
par Mara DupasOpinion. En tant qu’artiste de la relève, je me retrouve de plus en plus souvent confronté.e à l’épreuve de l’écriture biographique. Synthétiser, en plus ou moins 150 mots, mon parcours, ma démarche artistique, les thèmes qui constituent le cœur de ma recherche, relève du défi.
Choisir quels détails inclure ou omettre (surtout) m’apparaît comme un exercice d’équilibrisme formateur. De mon bagage culturel, de mon orientation sexuelle, de mes préoccupations politiques, quelles informations sont les plus pertinentes ?
Il m’apparaît comme non négociable d’inclure la totalité de mon bagage culturel dans ce court texte. Racines martiniquaises, enfance française, adolescence québécoise, vision artistique bigarrée, tout aussi métissée que mon visage ou mon accent.
De la même manière, je mentionne de plus en plus fréquemment dans ma biographie mon appartenance à la communauté queer*, en faisant référence à ma non-binarité**. On me demande tout aussi souvent pourquoi, pourquoi ce choix d’afficher noir sur blanc un détail “personnel”, du moins en apparence ? Est-il vraiment nécessaire, en 2023, dans un contexte progressiste tel que le milieu artistique Montréalais, de mentionner son orientation sexuelle, son identité de genre ?
À l’heure actuelle, je réponds que oui, oui et encore oui. Mon identité n’est pas un phénomène de mode, un appel aux subventions, une touche de couleur sur la morne fresque des traditions judéo-chrétiennes. Elle existe, intemporelle, et la mettre en mots constitue l’un de mes moyens favoris pour informer le public sur ma création. Mon, mes identités constituent les prismes à travers lesquels s’est construit mon rapport à l’art et, plus essentiellement, mon rapport au monde. Que ces prismes fassent ou non partie des thèmes ouvertement mis en lumière par une œuvre, ils sont indissociables de mon processus de réflexion et de création.
Il s’agit aussi, pour moi, d’une forme d’action militante, à très petite échelle. Clin d’œil à mes ancêtres. Grimace aux carcans imposés par la société. Un.e de plus à prendre la parole, à pouvoir accéder à des espaces de diffusion, un pas vers l’avant, en somme, tout en sachant que le racisme, l’homophobie, la transphobie sont des maux rencontrés au quotidien, et qu’aucun droit ne nous est véritablement acquis.
En y pensant bien, c’est toujours aux mêmes groupes que l’on reproche de s’époumoner, de déranger l’ordre établi, d’étaler leur(s) différence(s).
Je raconte qu’un jour, peut-être, lorsque ma partenaire et moi-même nous promènerons d’un bout à l’autre de la province, main dans la main, sans percevoir le moindre sifflement, sans nous faire photographier sans notre consentement, sans qu’un étranger inspiré par l’alcool nous traite de “négresses”, alors je me tairai. Alors, peut-être, je danserai pour le luxe de pouvoir le faire, et non plus par nécessité.
Qu’iel ait fait ses marques ou appartienne à la relève, l’artiste possède, à mes yeux, la responsabilité de prendre la parole sur des enjeux politiques. S’instruire, se questionner, risquer de se tromper et de se retrouver néanmoins sous les projecteurs, fait partie des risques (et du charme) du métier.
*Queer : Vers la fin des années 80, la communauté LGBTQ+ s’est réapproprié le terme queer (signifiant « étrange » en anglais), qui était à l’origine utilisé pour parler péjorativement des hommes homosexuels, pour en faire un symbole de contestation des modèles identitaires relatifs au genre et aux orientations sexuelles. Une personne queer privilégie une vision globale de l’individu plutôt qu’une vision axée sur son identité de genre ou son orientation sexuelle, qu’elle considère souvent comme fluides.
Source : Office québécois de la langue française.
**Non-binarité : La non-binarité représente les identités de genre autres que la binarité exclusive homme/femme. Les personnes non-binaires peuvent se sentir comme ni homme ni femme, comme les deux, ou comme toutes autres combinaisons des deux. La non-binarité inclut les identités en lien avec la fluidité des genres. Les personnes non-binaires peuvent s’identifier comme trans, selon leur auto-identification.
Source : Interligne