Danse en région: des démarches inspirantes portées par quatre femmes impliquées
Dans le cadre du mois célébrant la Journée internationale des droits des femmes, le Regroupement québécois de la danse a tenu à souligner quelques démarches et implications porteuses et inspirantes de personnalités féminines de la danse qui déploient cet art hors des grands centres urbains. Rencontre avec Soraïda Caron, Audrée Juteau, Josée Roussy et Liliane St-Arnaud.
Soraïda Caron
Chorégraphe, directrice générale et artistique de la compagnie Mars elle danse basée à Trois-Pistoles.
Pourquoi avoir fait le choix de vous installer dans le Bas Saint Laurent pour poursuivre votre pratique professionnelle?
Je viens de cette région. J’y ai donc un sentiment d’appartenance et je voulais que les gens découvrent cette discipline méconnue qu’est la danse contemporaine.
Comment développez-vous l’implantation de la danse dans le Bas Saint-Laurent?
En plus de mes oeuvres que je présente aux diffuseurs de l’est du Québec, j’organise plusieurs événements permettant la rencontre entre les artistes et les citoyens (Marathon de la création, Au quai, on danse!, La Nuit de la danse, Follement danse). J’ai également travaillé avec des non danseurs dans mes premières créations et dans des lieux inédits (salle de conférence, parc, café, forge, rues, etc).
Est-ce que vous vous sentez soutenue, outillée au même niveau que les grandes villes du Québec?
Je suis soutenue par le CALQ, le CAC et les ententes territoriales. J’ai également plusieurs partenaires, collaborateurs locaux et nombre d’amis et bénévoles prêts à me soutenir. Seulement, l’absence de structures et de main d’oeuvre qualifiée (interprètes, direction technique et de production dans le Bas Saint-Laurent) me poussent à engager des gens hors de ma région, ce qui me coûte très cher en perdiems, hébergement et déplacement. Lors de l’obtention d’une bourse de création de 25 000$, au moins 1/3 part en perdiems, hébergement et déplacement pour l’équipe. Je me retrouve donc pénalisée parce que je crée en région éloignée. Et nous n’avons pas de Conseil des arts de Montréal en région ni de programme comme Première Ovation ou autres soutiens offerts par la Ville de Québec par exemple. Nous disposons d’ententes territoriales mais pour des projets extraordinaires en lien avec la communauté. Ces critères ne correspondent pas toujours à nos démarches artistiques.
Il faut faire preuve de beaucoup de leadership, de débrouillardise, bien connaître le milieu et ses acteur·trice·s culturel·le·s pour vivre de la création en danse contemporaine en région.
Audrée Juteau
Danseuse, chorégraphe, artiste en danse de manière générale, Audrée a vécu à Montréal pendant 20 ans. Elle a étudié à LADMMI, dansé pour plusieurs chorégraphes et compagnies et complété une maîtrise à l’UQAM avant de développer sa propre pratique chorégraphique. En 2018, elle a fondé l’Annexe-A, un organisme de service et de création ainsi qu’un lieu d’accueil en résidence en Abitibi-Témiscamingue, d’où elle est originaire.
À quelle expérience peut-on s’attendre en venant faire une résidence de création chez vous?
Vous serez dans le bois, sur le bord d’un lac! Dans un garage transformé en studio. C’est un lieu reposant, un autre “beat” de vie, qui affecte notre état, ralentit notre rythme de vie. On travaille une création d’une autre manière. Certains artistes que l’on accueille une ou deux semaines restent dans le bois pendant tout leur séjour, alors que d’autres profitent de la vie culturelle de Rouyn-Noranda, qui est assez foisonnante. C’est d’ailleurs ces deux aspects conjugués qui sont importants pour moi.
Parlez-nous un peu plus de vos motivations à développer votre carrière à Rouyn-Noranda?
Je ne comptais pas m’installer là-bas sans un projet.
Au Québec, on manque de lieux pour développer des projets en danse et les présenter au public. En ouvrant ce lieu de résidence, j’amène la communauté de la danse à moi et je lui offre une possibilité de se déployer différemment et de présenter ses créations au public local.
J’avais aussi besoin de changement et j’aimais l’idée d’être près de la nature.
Quels défis représente le développement de la danse en dehors des grands centres urbains?
Le plus gros défi, c’est qu’il n’y a pas de bassin, pas beaucoup de danseurs avec qui travailler. Ici, je travaille plus avec d’autres collaborateurs comme des artistes visuels ou artistes sonores. Cela engendre de gros coûts de faire venir des danseurs de Montréal.
Il n’y a pas de lieu de diffusion pour la danse à proprement parler à Rouyn-Noranda, mais la danse se dissémine où elle peut: à l’Écart, un lieu interdisciplinaire dont je suis la directrice, au Musée d’art de Rouyn-Noranda, ou encore au Petit Théâtre du Vieux Noranda.
Josée Roussy
Elle s’est installée à Gaspé en 2007 après une dizaine d’années à Montréal comme directrice artistique et metteure en scène. Elle est à la tête du Centre de Création Diffusion de Gaspé (CCDG) depuis 14 ans. En tant que directrice artistique, elle a une approche pluridisciplinaire: elle tient plus que tout à proposer une offre culturelle qui soit diversifiée et à donner une place de choix à la danse contemporaine, un art qui lui est très cher. Chaque année, le CCDG présente dans sa programmation un certain nombre d’œuvres de danse et soutient la création en accueillant des artistes et chorégraphes pour des résidences.
Vous offrez des résidences de création pour les artistes et développez des actions de médiation culturelle: pouvez-vous nous parler un peu plus de ces initiatives?
La vision artistique commune entre les deux est de permettre à tout une communauté de rencontrer les arts vivants autrement: nous voulons permettre à la culture de se déployer dans l’espace public sur le territoire de Gaspé et d’aller à la rencontre des gens.
On sensibilise en outre nos publics à des formes d’arts nouvelles ou moins connues. Ce faisant, on favorise l’exploration, la création et le déploiement de disciplines comme la danse contemporaine.
Les retombées de ces axes de développement pour notre communauté sont multiples. D’abord, on rend accessible du contenu artistique en région excentrique, puis on engage de nouveaux partenariats avec des artistes et des compagnies.
Le public en danse est-il difficile à rejoindre?
Spontanément, je dirais non. Mais laissez-moi inverser la question : la danse est-elle assez présentée au public? Depuis quelques années, le contexte en matière d’objectifs à atteindre et de subventions gouvernementales a évolué et les diffuseurs pluridisciplinaires en bénéficient. Les régions sont donc appelées à voir plus de danse.
Et tout me porte à croire que le public est au rendez-vous. Je constate une soif de rencontres du public avec les artistes et mon travail est d’organiser ces rencontres, de créer les conditions propices à la réflexion et à la compréhension des codes par le public. Les résidences de création, les initiatives de médiation, les expériences in situ et notre présence sur différentes plateformes numériques sont autant de moyens qui nous permettent justement de rendre la danse plus accessible.
Ce qui nous caractérise au CCDG, c’est ce désir profond de développer un lien de confiance avec le public. Notre posture en est une de dialogue et d’ouverture afin de stimuler la relation avec les arts vivants.
Transformer par la culture, voilà notre mission.
Liliane St-Arnaud
Cofondatrice et directrice de la compagnie de danse AXILE depuis 1987, elle s’intéresse à des gens qui vivent une différence, à des sujets dont on parle peu, qui sont parfois même tabous. Ses créations visent à créer une ouverture à la danse contemporaine, à sensibiliser le public à des enjeux sociaux et à créer des occasions de rapprochements avec les interprètes. Artiste engagée, elle est la seule chorégraphe de l’Estrie à faire appel à la participation citoyenne dans le processus de création en danse.
Parlez-nous un peu plus de ce travail de création singulier et des rapprochements entre les interprètes et la communauté qu’il permet.
Je m’invite dans des mondes qui m’intriguent. J’aime aller à la rencontre de communautés très diversifiées, en compagnie des interprètes, afin de mieux saisir leur réalité et la profondeur des émotions qui les habitent. J’ai travaillé entre autres avec des personnes sourdes, des femmes victimes de violence, des aînés, etc., milieux que je ne connaissais pas vraiment. Cette démarche m’a ouvert la porte sur un monde de possibles et m’a permis de développer avec plus d’acuité une gestuelle accessible, signifiante et rassembleuse.
Comment rejoindre les publics qui sont peu familiers de la danse ?
Développer des projets où la communauté est impliquée est une manière de faire, comme par exemple inviter lors d’ateliers des jeunes et des moins jeunes à faire appel à leur imaginaire pour créer une gestuelle qui leur est propre. En entrant en contact direct avec la matière, ils se sentent plus concernés.
Diffuser dans des lieux non traditionnels crée également des opportunités de rapprochements et d’inclusion en permettant notamment à des publics qui ne viennent pas dans les salles de spectacles d’être en contact avec la danse.
Parlez-nous de l’écosystème de la danse, qui semble de plus en plus s’épanouir en Estrie.
Il n’y avait, dans les années 1980 – 1990, que peu de professionnels en danse implantés dans la région. La création du Centre des Arts de la Scène Jean-Besré (CASJB) a sans aucun doute contribué à améliorer la pratique et à attirer de nouveaux artistes. De deux compagnies de danse professionnelle en 1987, nous sommes passés à cinq. Aujourd’hui, les interprètes ont de plus en plus de travail: avec AXILE, je privilégie l’engagement d’interprètes de la région, mais les besoins en termes de financement pour assurer une pérennité restent criants. La création d’une commission danse au Conseil de la culture de l’Estrie est aussi un atout de taille; elle permet aux chorégraphes et interprètes de se rassembler, d’échanger, par exemple, sur les conditions de travail ou de se tenir au courant des projets en cours.
De mon point de vue, la danse en Estrie se porte bien. Chorégraphes et interprètes s’investissent à fond pour qu’elle soit toujours plus vivante et non survivante!