Pour un déploiement durable et concerté de la danse professionnelle dans les régions du Québec
Quinze artistes et directeurs de lieux destinés à la danse en région signent cette lettre ouverte pour souligner l’importance du développement de la danse dans les régions du Québec.
Juin marque un moment important pour le milieu culturel au Québec: les événements estivaux peuvent enfin entrevoir une reprise graduelle de leurs activités. Parmi ceux-ci, les projets de danse se multiplient. Nous saisissons cette occasion pour insister sur l’importance du développement de la danse dans les régions du Québec.
Si cet art a été particulièrement affecté par la pandémie, force est d’admettre que la situation a aussi mis en lumière des angles morts dans son développement : la danse professionnelle souffre d’une sévère centralisation à Montréal, au détriment d’un déploiement plus prometteur sur l’ensemble du territoire. Avec la suspension des tournées internationales, le milieu de la danse s’est retourné vers son réseau de diffusion local pour constater qu’il était nettement sous-développé! Pourtant, des diffuseurs pluridisciplinaires ont œuvré à démocratiser la danse, et celle-ci est bien vivante dans plusieurs régions sous des formes amateures à travers d’innombrables écoles de danse, pow wow ou pratiques de danses sociales. Pourquoi le milieu professionnel de la danse a-t-il tant de difficulté à sortir des grands centres? Pourquoi le rayonnement international semble-t-il plus valorisé que les initiatives régionales?
Bref historique: Montréal comme plaque tournante
Depuis les années 1980, la danse professionnelle s’est développée de manière exponentielle à Montréal. La métropole est une plaque tournante de l’art chorégraphique à l’échelle internationale qui a su développer ses infrastructures, ses programmes de subvention et son réseau de diffusion comme aucune autre ville canadienne.
Il est vrai que des villes comme Québec et Sherbrooke ont développé, au terme de plusieurs décennies, des écosystèmes qui assurent la rétention d’un minimum d’artistes et la construction d’infrastructures, tandis que la région de Lanaudière bénéficie de la volonté de partenaires forts pour initier un déploiement enviable de la danse. Malgré tout, ces pôles demeurent fragiles et le développement de la danse professionnelle dans l’ensemble des régions du Québec accuse un retard important en comparaison avec d’autres disciplines artistiques. Par exemple, les centres d’artistes autogérés et musées sont bien implantés dans les centres urbains et ruraux; les festivals de musique se multiplient d’un bout à l’autre de la province; le théâtre s’est taillé une place importante dans plusieurs régions, que ce soit au sein des saisons régulières ou des productions estivales. Le développement de la danse professionnelle demeure pour sa part timide. Les efforts d’organismes comme La danse sur les routes du Québec, en collaboration avec certains diffuseurs pluridisciplinaires et organismes spécialisés en région, se butent parfois à un manque de reconnaissance, voire d’intérêt de la part du milieu professionnel, lequel semble davantage interpellé par les scènes européennes. Pourtant, le rôle des organismes régionaux dans le développement de publics et d’opportunités pour la danse est crucial.
La transformation récente de l’écosystème donne espoir, avec la multiplication d’organismes professionnels spécialisés en danse, notamment en Abitibi-Témiscamingue, dans les Laurentides, le Bas-Saint-Laurent et Chaudière-Appalaches, sur la Côte-Nord ou en Gaspésie.
Néanmoins, ce développement s’effectue trop souvent au détriment de ces organismes qui doivent se précariser pour défricher des milieux sans un soutien adéquat.
Constats post-COVID et pistes de solutions
Des enjeux multiples pesaient déjà sur les organismes de danse en région avant la pandémie: l’absence de conseils des arts régionaux ou de volonté politique locale, la difficulté de consolider un bassin d’artistes professionnel.les pérenne, la rareté d’infrastructures adéquates, etc. À ceux-ci s’ajoutent des enjeux liés à la pandémie propres aux régions. À Montréal, une multitude de subventions spéciales ont vu le jour pour aider les artistes de la danse à traverser la pandémie. Dans plusieurs régions, aucun fonds d’urgence n’a été débloqué pour l’art: au contraire, les programmes réguliers ont parfois été coupés, sans compter la fermeture de commerces locaux qui jouent un rôle majeur dans l’économie culturelle, la précarité du transport collectif interurbain vers l’Est-du-Québec ou l’essoufflement des équipes municipales. Une meilleure reconnaissance de ces défis supplémentaires est nécessaire, de la part de nos pairs et des bailleurs de fonds.
En pleine pandémie, plusieurs organismes en région se sont retrouvés devant un paradoxe: d’un côté, l’envie de répondre à l’engouement pour le rayonnement local qui apparaît maintenant comme une nécessité; de l’autre, le poids supplémentaire que cela fait peser sur tous les organismes en région. Beaucoup d’attention est portée sur le rôle que peuvent jouer les structures régionales pour stimuler la circulation de la danse sur le territoire, sans suffisamment d’égards aux besoins de leurs communautés locales.
Cultiver une curiosité réciproque
Nous souhaitons donc que le déploiement de la danse professionnelle sur le territoire soit d’abord un levier pour l’épanouissement des artistes et organismes qui ont développé une expertise dans leur région. Cela nécessitera de cultiver la curiosité du milieu de la danse professionnelle pour les initiatives régionales, de comprendre les réalités distinctes des différentes communautés en région, de mettre en place une concertation avec les forces à l’œuvre sur le terrain et d’appuyer ces efforts par un investissement financier sans précédent. Avec le soutien adéquat, le Québec peut se doter d’un écosystème durable et stimulant au sein duquel la danse professionnelle pourra se développer hors de ses quartiers habituels.
Signatures en date du 8 juin 2021
Priscilla Guy – Mandoline Hybride, Marsoui
Caroline Dusseault – Danse Laurentides et DUSSO danse, Ste-Adèle
Annie-Claude Coutu Geoffroy – Diffusion Hector-Charland, L’Assomption et Repentigny
Sylvie Mercier – Bourask, Tadoussac
Chantal Caron – Fleuve | Espace danse, St-Jean-Port-Joli
Audrée Juteau – L’Annexe-A, Rouyn-Noranda
Francine Châteauvert – Sursaut, Sherbrooke
Nicolas Zemmour – ZemmourBallet, Sherbrooke
Soraïda Caron – Mars Elle Danse, Trois-Pistoles
Josée Roussy – Centre de Création Diffusion de Gaspé, Gaspé
Steve Huot – Groupe Danse Partout, Québec
Marie-Hélène Julien – La Rotonde, Québec
Valérie Lambert – La Maison pour la danse, Québec
Karine Ledoyen – Danse K par K, Québec
Harold Rhéaume – Le fils d’Adrien danse, Québec
En complément
> Lire l’article du Devoir, La valse des régions, 9 juin 2021