La rage de vivre
Deuil et contraintes. Ces mots lourds de sens prennent de plus en plus d’importance avec la pandémie qui entre dans sa deuxième année. Cela fait maintenant 350 jours que l’on est plongé dans un état d’abandon de projets et d’expériences avortées. Le deuil quotidien nous laisse à peine le temps de passer par toutes ces phases: la colère, le déni, l’acceptation. Les contraintes s’accumulent dès que l’on sort de chez soi, autant pour danser que pour aller à l’épicerie. Nos corps sont meurtris par un immobilisme latent qui perdure. Et une virtualité faussement conviviale ajoute au portrait une fatigue généralisée. On voudrait que tout soit moins compliqué pour continuer de faire ce qu’on aime et ce qui nous anime. Et pourtant! Nous en témoignons chaque jour: notre milieu a cette rage de vivre qui carbure vers l’avenir. Un avenir qu’on peut avoir de la peine à imaginer, mais qui vaut toujours la peine. Et ce temps nouveau, il nous faut le bâtir.
On veut sortir de cette crise pandémique en ayant changé les choses. D’une certaine manière, la gestion du changement devient une tâche quotidienne pour le milieu de la danse. Individus, organismes, institutions, chacun a un rôle à jouer pour dénouer les enjeux qui nous touchent collectivement: la répartition de la richesse, la préservation de l’écosystème de la danse, l’éthique des relations professionnelles, l’inclusion, la diversité des pratiques, la précarité, l’écoresponsabilité… La multiplicité des points de vue est nécessaire en ce qu’elle oblige à jeter ses ornières par-dessus bord et à entrer dans une danse à l’horizon ouvert.
Il y a un avant et un après la pandémie. Mais il y a aussi un pendant la pandémie. Les studios continuent à nous accueillir, les scènes offrent des espaces de résidence, certains entrainements et enseignements se poursuivent. Le numérique s’impose dans cette pratique qui nous est chère pour maintenir le lien avec nos publics, entre autres. Il est une option «en attendant» pour certains, une nouvelle voie d’avenir pour d’autres. Cherchons l’équilibre pour accepter ces différentes approches dans cette ère numérique, en même temps que nous traçons notre propre chemin.
On entre dans une nouvelle époque qui appelle à rebâtir des fondations plus solides et cimentées par l’équité, la justice et la bienveillance. De nouvelles briques sont dorénavant à sélectionner, agencer, superposer pour permettre de prendre le temps de laisser émerger la création et d’échafauder de nouvelles manières de présenter la danse. L’artiste doit prendre la place qui lui revient au cœur des différentes agoras publiques. Affirmer la présence et le rôle de la danse sur notre territoire québécois est un geste politique fort, nécessaire pour tous ces corps qui veulent communier, se rassembler, émouvoir. Les pouvoirs publics doivent prendre acte du rôle primordial des artistes, vecteurs de lucidités et d’expressions au sein de la société.
Danser, c’est vivre un peu plus, un peu autre. Danser, c’est être un peu plus avec soi, un peu plus avec l’autre. Continuons à nous soutenir dans notre rage de vivre à travers cet art du mouvement si vital.