De la place des étudiants internationaux dans les écoles supérieures d’art du Québec
Il s’est dit bien des choses les dernières semaines au sujet des modifications unilatérales apportées par le gouvernement du Québec aux règles qui régissent le PEC (Programme de l’expérience québécoise) pour les étudiants internationaux désireux d’entamer une démarche d’immigration au pays après l’obtention d’un diplôme dans un programme d’études postsecondaires. Une décision décriée dans une rare unanimité au Québec ralliant ainsi partis d’opposition, milieu de l’éducation, monde des affaires, syndicats, chambres de commerce, observateurs de la scène politique et bien entendu, les étudiants eux-mêmes.
Quand la productivité et la rentabilité mènent le bal
À nos yeux, une chose est claire dans ce dossier. Le gouvernement fait preuve de méconnaissance et de méfiance à l’égard du caractère positif de l’apport des étudiants internationaux dans nos programmes d’études, mais aussi à la société québécoise dans son ensemble. Qui plus est, le caractère restrictif des formations admises au PEC envoie un drôle de message à tous ceux et celles qui désirent entreprendre ou poursuivre des études dans des programmes exclus de ladite liste. La catégorisation tacite des sphères d’études nous démontre où se situe le gouvernement dans son évaluation de l’employabilité au Québec. Il suscite un clivage entre les étudiants. Désormais, il y a ceux qui étudient dans des secteurs qui trouvent grâce aux yeux des législateurs et les autres «improductifs» que l’on doit quand même tolérer.
Alors que toutes les sociétés occidentales se livrent à une vive concurrence pour attirer et retenir les meilleurs candidats dans les programmes d’études supérieures, le Québec se retranche et s’isole derrière un aveuglement volontaire des réalités d’un marché de l’emploi qui fluctue constamment. Aujourd’hui, quels devins pourraient nous dire quels seront les emplois les plus recherchés dans cinq ans?
Pour une meilleure reconnaissance de la valeur des formations artistiques
À titre de directeur général de l’École de danse contemporaine de Montréal (EDCM) et de président de l’Association des écoles supérieures d’art du Québec (ADESAQ), je ne peux demeurer silencieux devant les enjeux que soulèvent les nombreuses ramifications du débat actuel. Les écoles supérieures d’art jouent un rôle important dans l’écologie de la formation en art au Québec. En tant que centres d’excellence dans la formation de la relève artistique, les écoles supérieures d’art contribuent de façon majeure au perfectionnement et au renouvellement des pratiques artistiques, ainsi qu’au dynamisme et au rayonnement international de la culture québécoise.
Nos écoles se démarquent au Canada et sur la scène internationale pour de nombreuses raisons. Parmi celles-ci, notons leurs approches pédagogiques et leur niveau d’excellence et d’exigence en matière d’enseignement des différentes disciplines artistiques. Elles offrent un enseignement de haut niveau, axé sur le cheminement individuel de leurs étudiants. Elles offrent des conditions d’apprentissage qui font l’envie de plusieurs écoles internationales. Nos écoles sont des creusets d’où naissent de nombreuses carrières exceptionnelles.
Les conditions et exigences professionnelles auxquelles seront confrontés les étudiants à leur sortie des écoles sont ainsi reproduites tout au long de leur formation. Les praticiens qui dispensent l’enseignement composent également le premier réseau de contacts professionnels pour les jeunes diplômés.
L’opportunité de former les travailleurs du Québec de demain
Les diplômés des écoles d’art ont une compréhension profonde de leur métier, et sont d’ailleurs très reconnus par le milieu comme en témoignent les taux de placement élevés, leur participation à des créations marquantes. Cela confirme la capacité des écoles supérieures d’art à former des artistes et des artisans aux compétences élevées et recherchées ici et ailleurs. Ils constituent de loin nos meilleurs ambassadeurs.
Depuis quelques années, plusieurs écoles accueillent un nombre de plus en plus important d’étudiants internationaux dans leurs programmes. Ces jeunes apprentis sont attirés par la qualité des formations offertes et par les opportunités de poursuivre une carrière d’interprète ou de créateur en sol québécois. L’accueil des étudiants internationaux présente de nombreux avantages pour le Québec. «…les étudiants internationaux contribuent largement aux progrès de la société québécoise. Ils diversifient les idées et les collectivités, renforcent les relations entre le Québec et des établissements d’enseignement du monde entier, tout en favorisant l’attraction des enseignants internationaux convoités. Leur présence permet de rehausser le niveau et la qualité des établissements d’enseignement québécois».*
Les diplômés qui sortent de nos écoles se produisent régulièrement sur la scène internationale et contribuent largement au rayonnement et à l’attractivité de celles-ci à travers le monde. Plusieurs écoles jouissent d’une réputation qui dépasse les frontières de Montréal, du Québec ou même du Canada, et peuvent ainsi recruter des étudiants et enseignants de calibre mondial.
Aussi, il nous apparaît évident que les étudiants internationaux qui sortent de nos écoles supérieures d’art devraient continuer de constituer l’une des principales sources d’immigration, car ils possèdent un diplôme déjà reconnu par les employeurs et une expertise en tant que créateurs. De plus, ils connaissent aussi la réalité québécoise et ont déjà bâti un réseau de contacts dans leur communauté de pratique.
Une stratégie gouvernementale à clarifier
Les principaux bailleurs de fonds publics qui contribuent aux financements respectifs de nos écoles accordent une grande importance à notre capacité d’accueillir dans nos programmes des étudiants extraterritoriaux. À la lumière des dernières actions du gouvernement dans ce dossier, il y a lieu de se questionner sur l’harmonisation des positions des différents ministères entre eux afin de tenir un discours cohérent qui ne laisse place à aucune interprétation. En terminant, force est de constater que le Québec manque cruellement d’une stratégie internationale en matière d’éducation. La voie que semble privilégier pour l’instant le gouvernement fera en sorte qu’à plus ou moins brève échéance, le Québec sera déclassé dans le contexte de concurrence mondiale pour attirer les meilleurs talents.
Dès lors, malgré le retrait annoncé du nouveau règlement, nous ne pouvons accepter que seuls les aspects économiques et l’employabilité dictent les politiques d’immigration au Québec. Ce serait faire fi des nombreux avantages et retombées que les étudiants internationaux génèrent au profit de la société québécoise. Une plus-value dont nous ne saurions nous priver. Nous invitons les législateurs à consulter les principaux acteurs du domaine de la formation en art et du milieu de l’éducation avant d’aller plus loin avec une prochaine mouture de politique nationale d’immigration. Un consensus est préférable à une vision étriquée et à courte vue des besoins réels du marché de l’emploi.
Yves Rocray
Directeur général
École de danse contemporaine de Montréal
* Attirer et retenir plus d’étudiants internationaux – Six propositions pour renverser la tendance au Québec – Institut du Québec en partenariat avec le Conference Board du Canada et HEC Montréal, 2017