Danse décontractée: plaidoyer pour l’accessibilité
Depuis 2018 se multiplient les initiatives d’accessibilité et d’inclusivité à travers les différents réseaux professionnels artistiques montréalais. Cette réflexion découle d’un désir d’ouvrir les portes des lieux culturels au plus grand nombre, d’une part, mais aussi au besoin de démocratiser réellement l’accès à la culture. Au printemps 2019, le réseau Accès culture mettait sur pied un projet pilote au sein de certaines maisons de la culture afin d’offrir quatre représentations décontractées accessibles à l’ensemble de la communauté montréalaise, incluant le spectacle de danse Vic’s Mix, de la compagnie RUBBERBAND, présenté à la maison de la culture du Plateau Mont-Royal. De quoi s’agit-il? Quelle en est la portée?
Élargir les publics
Une représentation décontractée (de l’anglais «relaxed performance») désigne une représentation ouverte à tous, particulièrement aux personnes qui vivent avec un handicap sensoriel ou intellectuel, un trouble neurologique ou d’apprentissage, et aux personnes accompagnées de nouveau-nés. L’ambiance sonore et visuelle du spectacle ainsi que l’accueil sont adaptés pour créer un environnement calme et inclusif.
Les représentations décontractées ont fait leur apparition dans les années 90, principalement dans les théâtres et salles de cinémas anglo-saxons. Au Québec, les premières initiatives sont récentes, mais elles gagnent en popularité, par exemple à l’Espace Libre, à l’Arrière Scène en Montérégie, au MAI (Montréal , arts interculturels), à l’Agora de la danse et dans certains musées de l’île de Montréal. Si ces représentations étaient historiquement principalement offertes au théâtre, il était important pour le réseau Accès Culture, d’explorer cette avenue dans d’autres disciplines afin d’ouvrir la voie à d’autres compagnies qui aimeraient se lancer dans l’aventure. Avec le soutien du British Council ou du Conseil des arts de Montréal, notamment, ces initiatives se multiplient maintenant et piquent la curiosité d’un nombre grandissant d’acteurs des milieux artistiques.
Pourquoi offrir une représentation décontractée?
Littéralement, parce que cela change des vies. Certaines personnes n’ont présentement pas accès à la culture en raison du cadre traditionnel de représentation ou du manque d’adaptation des lieux culturels à leurs besoins. En effet, nous attendons de chaque spectateur qu’il sache comment se déroule un spectacle : la pénombre dans la salle, ne pas parler, ne pas bouger, ne pas sortir, etc. Pour un grand nombre de personnes, ces contraintes nuisent à leur accès aux arts de la scène.
Lors des représentations décontractées, les lumières demeurent partiellement allumées dans la salle. Les gens peuvent entrer et sortir à leur aise, peu importe la raison. Nous ne nous attendons pas à un silence complet ni à ce que chacun reste en place tout au long du spectacle. Aussi, nous diminuons l’intensité sonore et lumineuse pour les personnes à la perception plus sensible. Et l’œuvre, au centre de l’expérience, demeure inchangée. Il est de notre responsabilité, en tant qu’artistes ou diffuseurs, d’être à l’écoute des besoins de chaque personne, de les accompagner et ainsi favoriser leur expérience parmi nous. La communication est la clé, il s’agit ici de bâtir une relation avec chaque membre du public ou avec des organismes spécialisés avec ces clientèles souvent marginalisées. Et lorsque ce travail est fait, les résultats sont perceptibles rapidement.
L’essayer c’est l’adopter
Combien de spectateurs ayant des besoins particuliers tout au long du projet sont venus nous remercier de les sortir de l’isolement, de leur donner la chance d’avoir accès à des œuvres qu’elles n’auraient pu apprécier autrement? Toute la raison d’être de ce projet tient en ces quelques mots. Parce qu’au fond, en tant que compagnie, artiste ou diffuseur, on en vient toujours à se poser la même question : à qui est-ce que je m’adresse à travers mon travail? Pour plusieurs artistes que je connais, nous travaillons à dialoguer avec la société dans laquelle nous vivons, avec l’ensemble de la communauté. Mais parvenons-nous vraiment à nous adresser à elle avec les contraintes actuelles autour de la représentation? Avec la représentation décontractée, on poursuit la réflexion avec une deuxième question : comment rendre notre travail artistique accessible à un plus grand nombre et assurer ce dialogue qui nous intéresse en tant qu’artistes?
Le milieu de la danse s’ouvre visiblement aux démarches inclusives. Nous avons tous un rôle à jouer pour éduquer nos collègues et nos publics afin de poursuivre le dialogue autour des questions d’accessibilité. L’expérience de Vic’s Mix en format «décontracté» nous prouve que nous avons tous les moyens et les ressources pour aller de l’avant avec ce type d’initiative. Ainsi, au printemps 2020, près d’une vingtaine de représentations décontractées de différentes disciplines seront présentées dans les lieux du réseau Accès culture. Dans l’avenir, les représentations décontractées seront plus fréquentes et diverses, permettant d’offrir une réelle programmation accessible à l’ensemble de notre communauté.
Pascale St-Onge est une autrice dramatique et une librettiste basée à Montréal. Depuis sa sortie de l’École nationale de théâtre du Canada en 2016, elle multiplie les projets tels que les spectacles collectifs Agora et Autorisation parentale, présentés au Festival du Jamais Lu. En octobre 2018, elle présente le spectacle KINK, spectacle performatif co-créé et interprété avec son complice Frédéric Sasseville-Painchaud. En 2018, elle remporte le Prix Trois Femmes – Mécénat Musica en tant que librettiste pour la création de l’opéra contemporain «L’hiver attend beaucoup de moi», composé par Laurence Jobidon et qui sera produit par l’Opéra de Montréal et l’Atelier Lyrique à l’hiver 2020, à Espace Go, dans une mise en scène de Solène Paré. Elle s’intéresse aux questions d’accessibilité culturelle et s’implique à cet effet auprès de la compagnie théâtrale Joe Jack et John et du réseau Accès culture comme coordonnatrice.
Le réseau Accès culture, c’est plus de 2000 spectacles et 150 expositions gratuits ou à petits prix présentés annuellement dans les 19 arrondissements de Montréal. Des événements qui mettent en valeur la musique, la danse, le théâtre, le cirque, le cinéma et les arts visuels, mais aussi et surtout une foule d’activités de médiation et d’accompagnement des publics.