L’inclusion et l’accessibilité comme priorité numéro un
Je m’appelle Hanako Hoshimi-Caines. J’utilise le pronom «elle». Je suis née au Québec de parents immigrants. Je dirais que ma «blancheur» dépend de la situation dans laquelle je me trouve. Quand j’étais petite, j’étais plus consciente de ne pas être blanche. Pour moi, le politique est partout et il n’y a donc aucun moyen de l’éviter. Je vois l’artiste comme une sorte de militant qui s’implique de façon concrète dans et pour la pluralité et l’interdépendance des identités. Par le passé, j’ai adhéré à l’élitisme de l’art contemporain en acceptant la «qualité» comme principe universel aux critères objectifs, non situé dans un contexte culturel en particulier. Je pense aujourd’hui qu’il s’agissait inconsciemment pour moi de conserver et d’entretenir ma «blancheur». Par ce texte, j’espère rendre hommage à tous ceux qui ont dédié et qui dédient aujourd’hui encore leur vie à la lutte pour l’égalité et la justice.
Repenser la hiérarchie dans les arts
Enfant, je suis souvent allée au MAI (Montréal, Arts Interculturels) avec ma mère, qui était travailleuse communautaire. Je pensais: «Tout ça c’est très bien mais je ne ferai pas de l’art communautaire ou interculturel, je ferai du «vrai» art». Cette hiérarchie, ou élitisme au sein duquel l’art contemporain se place au-dessus de l’art communautaire, n’est pas neutre. Ils résultent du pouvoir des valeurs blanches européennes occidentales qui décide des standards de qualité. Alors que je travaille encore aujourd’hui à déconstruire la rigidité de ces catégories toujours très présentes à mon esprit, je peux dire que je vois désormais les choses de façon complètement différente: cette hiérarchie esthétique, qui empêche de nombreuses perspectives, ne peut et ne doit conférer aucune valeur à mon travail. Bien au contraire, elle appauvrit l’éthique et l’esthétique de mes créations. Et je veux que mon art soit significatif. Travailler à la déconstruction des structures d’exclusion racistes, sexistes, classistes, âgistes et validistes est la seule façon de produire du sens. Le MAI n’est pas spécial ou différent parce qu’il programme de l’art multiculturel plutôt que du «grand art», il l’est parce qu’il répond à la «blancheur» de l’art contemporain en donnant de la visibilité à une pluralité existante. J’en suis arrivée à inclure le MAI dans ma définition de l’art «vrai» et de la contemporanéité, définition qui a changé ma façon de penser et de travailler. L’inclusion en tant qu’objectif institutionnel est impossible s’il s’agit d’intégrer l’hégémonie des normes établies. L’inclusion est bénéfique quand elle implique une opération interne de transformation, un bouleversement actif et fluide grâce au pluralisme.
Un dialogue au cœur de l’institution
Je souhaiterais partager ici une expérience récente vécue en novembre dernier alors que je travaillais avec l’artiste Tanya Lukin Linklater sur l’exposition Art for a New Understanding: Native Voices, 1950s to Now au Musée Crystal Bridges de Bentonville en Arkansas. J’ai été frappée par l’hospitalité de l’endroit et j’ai rapidement compris, au travers de conversations avec les employés, que cette impression n’était pas fortuite: l’inclusion et l’accessibilité sont leur priorité numéro un.
Deux initiatives ont été mises en place afin de concrétiser cette priorité: n’importe quel(le) employé(e) du musée peut lancer un groupe de défense des intérêts de populations marginalisées ou minoritaires. Chaque groupe décide de ses conditions d’entrée et définit lui-même ses alliés: être un allié signifie être à l’écoute, s’informer des luttes et agir avec la connaissance des besoins spécifiques. Les groupes peuvent présenter leurs enjeux et actualités lors de réunions trimestrielles auxquelles participent tous les employés. Il existe également de nombreuses sessions d’information portant sur l’art, les artistes et les questions politiques présentés dans les expositions temporaires, afin que chaque employé puisse offrir un accueil informé aux visiteurs comme aux équipes artistiques invitées. Ces diverses actions font du musée un lieu d’appartenance pour tous ceux qui y travaillent, qu’importe leur place dans la hiérarchie. L’encouragement des initiatives individuelles ont fait du musée un lieu «inclusif». Et ce qui le rend si accueillant, c’est l’acceptation de la différence et de l’imperfection, qui y sont considérées comme normales et constituantes de l’identité du musée. Le fait que j’ai été si surprise par cet environnement montre bien à quel point je suis habituée à l’élitisme des espaces d’art contemporain au Québec.
À cet égard, je voudrais voir les institutions culturelles faire de l’inclusion et de l’accessibilité une priorité permanente, et non un objectif parmi tant d’autres. Comme j’ai pu l’observer au Musée Crystal Bridges, cela commence au cœur de l’institution. La facilitation du pluralisme, à travers l’abandon du pouvoir hégémonique et hiérarchique, n’est pas indépendante mais bien partie prenante de l’élaboration d’une véritable qualité artistique «contemporaine».
Hanako Hoshimi-Caines est une chorégraphe et danseuse basée à Montréal. Elle a un engagement émo-critique avec la danse, la chorégraphie et la philosophie comme moyen de voir, de ressentir et d’aimer mieux. Et ce qu’elle entend par amour, c’est une sorte de connaissance ambiguë qui est nécessairement incarnée, transformatrice et qui implique temps et intimité avec les choses. Ses œuvres ont été montrées à l’Agora de la danse, au Phi Center, au MAI, au Tangente, au Studio 303, à OFFTA, au 3ème étage de la résidence à l’Usine C, POP Montréal, ainsi qu’à Riksteatern (Stockholm), Kampnagel (Hambourg) Kunstfestival BEGEHUNGEN N ° 9 (Chemnitz) et DNK (Sofia). Hanako a dansé/collaboré avec Stephen Thompson et Andrew Tay, Jacob Wren, Adam Kinner, Frédérick Gravel, Tanya Lukin-Linklater, José Navas et avec le Cullberg Ballet (Stockholm) avec Benoît Lachambre, Deborah Hay, William Forsythe (Human Writes) et Jefta Van Dinther, entre autres. Elle poursuit actuellement des études en philosophie à l’Université Concordia avec un penchant pour l’éthique féministe et la performativité. Sa prochaine oeuvre intitulée Radio III sera présentée en première au MAI (Montréal, arts interculturels) en juin 2019.
Hanako Hoshimi-Caines © Nadège Grebmeier Forget