L’art de la transmission avec Paul-André Fortier
Le chorégraphe Paul-André Fortier fermera les portes de sa compagnie à la fin de l’année après quarante ans de créations chorégraphiques. Invité au FTA pour présenter la dernière œuvre officielle de la compagnie Fortier Danse-Création, le festival a saisi l’occasion pour imaginer une conversation entre l’artiste et les jeunes chorégraphes Audrée Juteau et Nate Yaffe. Comment un pionnier de la danse contemporaine transmet-il son expérience, ses souvenirs, à la génération actuelle? Le 5 à 7 Paul-André Fortier: passé, présent, futur a permis de nourrir cette question de la transmission.
Passé
«Ne souhaite-t-on pas tous que notre histoire rejoigne la grande histoire?» – Paul-André Fortier
Paul-André Fortier s’est intéressé à la transmission et à la recréation de certaines de ses pièces. Il a notamment remonté les solos Bras de plomb pour Simon Courchel et 15 X LA NUIT, créé initialement pour Simon Courchel, pour Mark Medrano et Naishi Wang. Remonter un solo que l’on a créé pour soi et interprété à plusieurs reprises est une tâche ardue. Le chorégraphe et le nouvel interprète doivent cultiver une confiance mutuelle, «faire preuve d’amour et d’abandon» et travailler dur. L’entreprise peut faire émerger un sentiment de «dépossession troublante». Fortier ne croit pas à une transmission systématique de ses œuvres. Certaines chorégraphies s’y prêtent et d’autres non. Solo 30×30 est l’exemple parfait d’un solo que l’artiste ne souhaite pas partager ni transmettre à un autre interprète.
Outre la passation directe d’une gestuelle du chorégraphe à un interprète, la transmission peut s'appuyer sur des notations chorégraphiques, des vidéos, des photos ou des boîtes chorégraphiques telles que développées par la Fondation Jean-Pierre Perreault. Non seulement Paul-André Fortier recourt à tous ces moyens de transmission et possède un fonds d’archives à BAnQ, mais il rédige également un manuscrit pour témoigner de son expérience de soliste.
Au gré des photos et d'extraits de spectacles projetés et en complément des souvenirs évoqués par l’artiste, le comédien Étienne Pilon livrait des bribes d’écrits de Paul-André Fortier, tirées de son ouvrage à paraître. Autant d’anecdotes, de récits et d'images qui nous ont permis d’en connaître un peu plus sur le chorégraphe tout en ayant accès à un patrimoine précieux.
Présent
Audrée Juteau et Nate Yaffe se sont prêtés au jeu de la découverte à partir de leur sensibilité et de leur expérience. N’ayant jamais travaillé avec Paul-André Fortier, ils se sont chacun plongé dans son parcours grâce à la documentation existante.
Lors du 5 à 7, ils ont pu poser des questions qui les préoccupent en tant que jeunes créateurs.
- Paul-André, as-tu eu des déclics dans ta carrière?
Plusieurs. J’ai pris plusieurs risques en 40 ans. J’ai toujours mis au défi ce que je savais faire. J’ai osé demander à des gens dont j’admire le travail de collaborer avec moi; j’ai été obligé de me dépasser pour qu’ils soient satisfaits du résultat. Confronter des imaginaires pour un même projet de création, c'est s’exercer à la souplesse, à la confiance, à l’exigence mutuelle.
- Comment dissocies-tu les choix créatifs du chorégraphe et de l’interprète dans tes solos?
Ça change quelque chose de danser et d’être chorégraphe en même temps. Il faut séparer les deux à un moment donné. On ne peut pas refaire la pièce quand on est sur scène!
- As-tu déjà pensé que ta carrière d’artiste n’allait pas fonctionner?
Les premières pièces sont faciles. Après, tu te demandes ce que tu as à dire et comment. Puis tu constates que tu as besoin de la création. Moi j’y ai investi ma vie.
Futur
Le chorégraphe, qui vient de fêter ses 70 ans, continue à danser. Il déplore que les artistes ne dansent pas assez longtemps et clame que l'âge apporte un plus de poésie et d’histoire: il y a toute une histoire à lire dans un corps vieillissant.
Celui qui «part à la découverte de ce que le corps a à dire» ne se laisse pas aller à la nostalgie. S’il compte s’éloigner de la scène comme interprète, il continuera à créer, au-delà de la fermeture de sa compagnie.
Faisons le pari que la trace laissée par celui qui vient de recevoir l’Ordre national du Québec sera indélébile.
Mentions photo:
Audrée Juteau, Paul-André Fortier et Nate Yaffe lors du 5 à 7 Paul-André Fortier: passé, présent, futur organisé par le FTA, juin 2018 @ Camille Pilawa – RQD