Danse, éducation et politique
Dans la foulée des consultations publiques en cours sur la réussite éducative et de la nouvelle sur le jeune public publiée la semaine dernière, j’ai eu envie de ramener sur la table le sujet de la danse à l’école. La récente élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis, parmi d’autres constats sur le triste état du monde, nous enjoint à une mobilisation massive et soutenue pour donner tous les moyens aux enfants de devenir des adultes accomplis et des citoyens éclairés. La fréquentation et la pratique des arts, dès le plus jeune âge, en font partie.
L’art, puissant marqueur identitaire
Élevée ailleurs qu’au Québec, j’ai eu à reproduire, vers l’âge de sept ou huit ans, des peintures telles que Le Coq de Pablo Picasso ou Le Clown bleu de Bernard Buffet. Ce sont des temps aussi forts dans ma vie d’écolière que les découvertes scientifiques ou les highs provoqués par la compréhension soudaine d’une donnée complexe. Je me souviens du plaisir à travailler les lignes, les formes, les couleurs. Je me souviens des émotions un peu troubles ressenties face à ces œuvres d’art moderne. Leur esthétique particulière s’était naturellement imposée à mon regard de fillette comme une représentation de la réalité parmi tant d’autres. Et à 15 ans, je prenais l’initiative d’un voyage au musée du Prado, à Madrid, pour voir une œuvre de Goya dont une reproduction avait suscité le débat dans mon cours d’espagnol. La pratique de la musique à l’école primaire n’a sans doute pas été étrangère non plus au fait que je puisse m’intéresser par moi-même à la musique classique, bien qu’elle ne fasse pas partie de ma culture familiale. Je garde par ailleurs le souvenir vibrant des lettres écrites collectivement à des écrivains et celui des explosions de joie à la réception de leurs réponses qui nous faisaient sentir que nous étions importants, que les enfants avaient le droit d’émettre des opinions ou de poser des questions pour mieux comprendre le monde et mieux s’y inscrire. Plus tard, toujours grâce à l’école, il y a eu les ateliers de théâtre avec l’exploration de l’expressivité, les visites au musée, parfois fascinantes, parfois ennuyeuses et des sorties au théâtre où l’émerveillement le disputait de temps à autre aux irrépressibles fous rires qu’éveillait la contemporanéité des formes.
Agréables ou dérangeantes, ces expériences se sont toujours doublées d’une profonde gratitude pour les enseignants qui m’offraient de les vivre. Car je sentais intimement à quel point elles me nourrissaient, forgeant mon esprit autant qu’elles développaient ma sensibilité et influençaient positivement ma façon d’être au monde.
La danse, facteur de développement et d’émancipation
Je n’ai pas eu l’occasion de vivre ce type d’expériences en danse – que j’ai pratiquée dans des écoles de loisirs centrées sur la virtuosité technique. Fort heureusement, les élèves d’aujourd’hui peuvent aussi passer par le corps pour se découvrir, apprendre et croître de toutes sortes de façons. Outre les nombreuses études ayant démontré que la pratique de la danse favorise le développement psychomoteur et social des individus, les neurosciences parlent désormais de «corps-cerveau» pour signifier l’implication simultanée du corps et de l’esprit dans les processus d’apprentissage. On souligne que la construction de sens – dont nous avons besoin plus que jamais! – passe par l’engagement du corps, par l’intelligence sensorielle, spatiale et motrice qui augmente quant à elle les capacités cognitives. Et l’on peut d’autant plus qualifier la danse d’arme de croissance massive que, selon la psychologie humaniste, le corps de l’enfant est aussi mis en jeu à travers son regard quand il est en position de spectateur. On avance même que le plaisir éprouvé dans le lien aux danseurs sur scène contribue à construire une sécurité de base et à favoriser l’estime de soi. Des idées largement développées dans le chapitre Le spectacle et l’enfant du I-Mouvance sur la danse jeune public publié en 2015 par le RQD. Alors, qu’attendent nos élus pour inscrire fermement la danse dans les programmes scolaires?
Militer pour la danse
Dans les trois axes qui guident les consultations publiques en cours, le ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur prône «l’atteinte du plein potentiel de tous les élèves; un contexte propice au développement, à l’apprentissage et à la réussite», nous invitant à contribuer «au développement d’une vision commune de la réussite éducative et à la réflexion sur les priorités pour l’atteindre». Profitons-en pour faire entendre nos voix de professionnels de la danse, de parents et de citoyens. Et ne limitons pas nos efforts à la durée des consultations ni à la sphère politique. Portons notre parole au quotidien et dans tous les contextes possibles. Car ce sont nos concitoyens qu’il faut aussi convaincre.
Fabienne Cabado
Directrice générale du RQD