Faire des tournées de façon écoresponsable, est-ce possible?
La tournée est un aspect très important du développement des arts de la scène, mais elle est aussi le vecteur d’importants impacts sur l’environnement, particulièrement en danse, où les œuvres chorégraphiques circulent essentiellement à l’international. Pour pérenniser le secteur et lutter adéquatement contre les changements climatiques, il est nécessaire de repenser nos façons de faire et d’intégrer les facteurs environnementaux dans nos choix.
Comment alors limiter cette empreinte environnementale des tournées, considérant l’importance de la diffusion des spectacles pour la survie du secteur? Apprenez-en plus sur les diverses solutions possibles, tant au niveau local qu’international, touchant principalement les transports, le choix de l’hébergement et les habitudes de tournée.
La gestion de projets et le développement durable
Avant toute chose, il est essentiel pour une compagnie ayant le désir d’organiser une tournée plus écoresponsable de communiquer à toute l’équipe ses valeurs environnementales et d’avoir au moins une personne chargée de la démarche. Il faut également intégrer ces considérations de manière transversale dans toute la pré-production. Si ce n’est pas planifié, il y a de bonnes chances que ça prenne facilement le bord. La cohésion entre toutes les parties prenantes est donc essentielle à la réussite de toutes démarches écoresponsables. Rappelez-vous qu’il est inutile de tenter de tout changer d’un coup. Commencez une étape à la fois et gardez en tête que l’amélioration continue est plus importante que la perfection.
Maintenant, plus concrètement, qu’est-ce qu’on peut faire au moment de la planification pour réduire l’empreinte d’une tournée?
Limiter les transports et opter pour un choix plus durable
Lorsqu’il est question de l’empreinte carbone des transports, on doit considérer à la fois celle des artistes (en répétition ou en spectacle), de l’équipe et du public. La première étape est bien évidemment de réduire nos déplacements lorsque possible. Par exemple, la vidéoconférence reste une bonne option pour des rencontres d’équipe qui ne nécessitent pas d’être sur place. Par la suite, lorsque les transports sont essentiels, il s’agit de faire les meilleurs choix basés sur les trois variables suivantes: le choix du moyen de transport, l’optimisation du trajet et le comportement du conducteur ou de la conductrice.
D’abord, pour le choix du mode de déplacement, il est important de valoriser, pour les artistes et le public, le transport actif, le transport en commun et le covoiturage (dans cet ordre). Si une voiture doit être utilisée, privilégiez un véhicule électrique ou hybride et assurez-vous de prendre un véhicule adapté à vos besoins (est-il nécessaire d’avoir un véhicule pour 6 passagers lorsqu’on est deux personnes?). Il est également nécessaire de limiter, lorsque possible, le transport aérien, considérant son empreinte carbone nettement supérieure à celle du transport terrestre. Le train reste une belle alternative pour réaliser de grandes distances.
Ensuite, l’optimisation du trajet est une bonne stratégie pour réduire la quantité de transport. Il est donc important d’essayer d’éviter les déplacements pour un seul spectacle dans une région éloignée (ou même sur un autre continent). L’idée est de diminuer l’empreinte carbone, mais aussi d’économiser des sous et de l’énergie.
Enfin, il est possible d’appliquer des méthodes d’éco-conduite en voiture pour diminuer sa consommation d’essence. En effet, ces techniques permettent une meilleure efficacité énergétique et réduisent la consommation d’essence de 5% à 25%[1]. On essaie ainsi d’éviter les accélérations et décélérations brusques, les trajets avec beaucoup de trafic et la marche au ralenti (pour les arrêts de plus de 60 secondes, il est recommandé d’éteindre complètement son véhicule).
Au Studio 303, l’équipe a mis en place des incitatifs pour valoriser le transport terrestre et collectif chez tous·te·s les professeur·e·s ou chorégraphes invité·e·s lors d’évènements. En effet, tel qu’indiqué dans leur politique interne, ils paient seulement le transport en train aux professeur·e·s provenant de Toronto. Ils encouragent également les professeur·e·s et artistes venant de New York à prendre le train en leur offrant la différence du coût pour dédommager le fait que ça prenne plus de temps. Ça leur coûte, en fait, la même chose que d’acheter un billet d’avion. Aussi, quand des professeur·e·s viennent de l’international, ils font tout pour que ça ne soit pas un « fly in – fly out », c’est-à-dire qu’ils essaient de leur trouver d’autres opportunités à Montréal ou ailleurs. Ce genre d’initiatives permet de diminuer l’empreinte carbone, mais aussi de normaliser ce type de décisions basées sur des critères environnementaux. |
Et la tournée internationale, faut-il complètement la repenser?
La tournée internationale est un aspect majeur dans le domaine de la danse. Bien qu’on puisse appliquer la plupart des principes indiqués dans cet article (transport, gestion des déchets, etc.), il arrive que des productions doivent se déplacer outre-mer pour une ou seulement quelques représentations. Sachant l’impact environnemental de ces déplacements, est-ce que ces pratiques sont viables à long terme? Faut-il dès maintenant repenser les modes de diffusion?
Clémentine Schindler, danseuse pour la compagnie Marie Chouinard, pense qu’«il faut définitivement changer le mode de diffusion à l’international et ne plus permettre aux compagnies de partir pour une seule date en Europe, par exemple.» Nicolas Patry, danseur, partage aussi des craintes face à ces déplacements répétés: « J’ai fait des allers-retours en Chine et en Asie pour juste un spectacle. Je me sentais vraiment mal, considérant l’empreinte que ça laissait au niveau de l’avion. » Le directeur de FÔVE diffusion, Nicolas Filion, partage quant à lui que «d’un côté, il faut prendre acte de la nécessité de réduire les déplacements, mais de l’autre, le partage des connaissances et de la culture est le dernier secteur à réduire, à mon avis: bien après la surconsommation qui génère d’énormes quantités de transport injustifiable, ainsi que le tourisme (en particulier de luxe et/ou de masse).» Ce dernier a déjà refusé des diffusions isolées qui coûtent cher en déplacement et qui ont un gros impact pour peu de retours concrets.
Est-ce la solution? Refuser les prestations isolées? M. Filion nuance en mentionnant qu’il y a « un criant manque de moyen et de soutien aux artistes et aux diffuseurs. L’obligation de résultat force les acteurs à choisir les chemins les plus faciles, à accepter même parfois de mauvaises conditions de tournée dans l’espoir de visibilité. […] Les mesures d’atténuation sont accessibles à partir d’un certain volume de déplacements; c’est-à-dire quand la compagnie a atteint une certaine notoriété et peut commencer à exiger certaines conditions. Autrement, les artistes sont en mode survie et prennent ce qui passe… »
De son côté, Clémentine Schindler mentionne qu’il « faudrait surtout mettre en place des aides pour développer le public localement, il y a très peu de public de danse au Québec, je crois qu’il faudrait mettre l’accent sur cela. Le financement des tournées devrait mettre la priorité sur la diffusion locale et non récompenser le rayonnement international à tout prix. »
Une réflexion nécessaire pour imaginer le futur de la tournée considérant l’existence de cette dualité entre les impacts environnementaux générés pour un spectacle outre-mer et l’accessibilité nécessaire aux arts et la culture partout dans le monde. Plus de soutien pour les tournées locales et une collaboration plus accrue entre les différents acteurs pourraient être une partie de la solution. Nicolas Filion mentionne qu’« il faut changer la culture de l’exclusivité territoriale, cesser d’exiger des premières régionales ou nationales, partager entre les structures les stratégies et les planifications… C’est un gros changement de culture qui est demandé, mais c’est là que se situe, à mon avis, le meilleur potentiel d’impact sur l’environnement. » Une réflexion à poursuivre…
Après la réduction, on compense?
Bien évidemment, l’objectif principal est de diminuer le nombre de déplacements. Une fois que des stratégies de réduction à la source sont appliquées, il est possible de compenser les gaz à effet de serre émis, avec un organisme de compensation carbone. Il est important de penser à cette avenue dès le début afin d’intégrer cette dépense dans le budget et de planifier la collecte d’information nécessaire (les types de transports et les distances parcourues par chaque personne). N’hésitez pas à vous référer à la liste des outils et guides proposée par le Regroupement québécois de la danse pour vous aider à compiler et compenser vos émissions.
Réduire la quantité de matières générées
La route est souvent synonyme de repas rapides et de déchets. Voici certains trucs en rafale pour réduire à la source et favoriser l’économie locale:
- Amenez des contenants, ustensiles, gourdes et tasses à café réutilisables (prévoyez un moyen de les laver);
- Apportez un lunch lorsque possible;
- Priorisez les restaurants locaux sur la route et dans les villes.
Le matériel promotionnel génère également des déchets en tournée. Le plus important est de limiter au minimum la production de matériel promotionnel physique (affiches, flyers, etc.). Lorsque nécessaire, optez pour du papier fait de fibres locales et recyclées (ex: papier certifié FSC) ainsi que des encres naturelles.
Ajuster son devis technique
Bien que la production n’ait pas vraiment de pouvoir sur la majeure partie des installations des lieux de diffusion, elle peut cependant ajuster le devis technique en concordance avec ses valeurs environnementales et sociales. Voici quelques éléments pouvant être ajoutés à tout document fourni à la salle de spectacle:
- Informer les diffuseurs de votre démarche écoresponsable;
- Informer que la tournée proscrit les bouteilles d’eau ainsi que les articles à usage unique;
- Valider la présence d’une station d’eau potable dans les loges;
- Demander l’accès à des serviettes plutôt que du papier brun dans les salles de bain;
- Mentionner la préférence pour:
- des boissons et des aliments locaux, biologiques et sans emballage;
- des options végétariennes et/ou végétaliennes.
- Demander d’avoir accès à des bacs de tri (à trois voies si possible).
Lorsque vous quittez vos loges, n’hésitez pas à rapporter et consommer les aliments qui seront potentiellement jetés (apporter vos contenants réutilisables). Vous pouvez évidemment aussi appliquer ces principes pour les lieux de répétitions.
Bien choisir son hébergement
Si vous choisissez d’être hébergé·e dans un hôtel:
- Référez-vous à la certification «La clé verte» pour choisir un hébergement avec des considérations environnementales;
- Optimisez le nombre de personnes par chambre;
- Évitez de consommer les articles à usage unique offerts (savon, shampoing, etc.);
- Évitez les repas pour emporter (optez pour l’épicerie ou les restaurants locaux) ;
- Évitez de faire nettoyer votre chambre pendant votre séjour (réutilisez les serviettes).
Autrement, essayez de privilégier les hébergements collectifs comme la location d’appartement ou de maison puisque cela permet de cuisiner, de diminuer les déchets générés et de réduire la consommation d’énergie par personne.
Communiquer pour sensibiliser
La mobilisation de tous les acteurs est primordiale: danseurs, compagnie, artisans, diffuseurs, réseaux, etc. Par vos actions et vos choix, vous pouvez également sensibiliser vos parties prenantes en communiquant votre démarche ou en les incitant à changer leurs comportements. Afin de débuter votre engagement public, vous pouvez joindre le mouvement « Artistes citoyens en tournée », une initiative pour promouvoir les pratiques écoresponsables dans le milieu des spectacles.
[1] J. Van Mierlo, G. Maggetto, E. Van De Burgwal, and R. Gense, “Driving style and traffic measures – Influence on vehicle emissions and fuel consumption,” Proceedings of the Institution of Mechanical Engineers, Part D: Journal of Automobile Engineering, vol. 218, no. 1, pp. 43–50, 2004.