État des lieux de la diffusion de la danse dédiée aux jeunes publics
En novembre dernier, un Forum sur la diffusion de la danse jeune public au Canada* réunissait près d’une centaine de diffuseurs, artistes, agents et représentants de compagnies. Ginette Ferland, agente de développement et de diffusion à la longue feuille de route, a profité de son allocution au panel d’ouverture pour faire ressortir les spécificités de la situation québécoise, nommer les enjeux les plus pressants, souligner quelques bons coups et rendre un hommage vibrant aux jeunes spectateurs. Extraits.
Spectateurs à part entière
La mission éducative est partie prenante de la démarche artistique en danse jeune public. Permettre à l’enfant de voir un spectacle professionnel contemporain en salle, dans de bonnes conditions techniques, et lui donner la chance d’expérimenter dans son corps la danse, c’est lui permettre de vivre une expérience complète, riche, significative.
Au centre de la création jeune public, il y a d’abord l’enfant, cet enfant que je considère comme un petit citoyen à part entière. On entend souvent que les spectacles jeunesse forment le spectateur de demain, c’est bien vrai, mais pour moi, il est d’abord et avant tout le spectateur d’aujourd’hui, un être unique qui a le droit de vivre des expériences fortes, significatives qui viendront l’enrichir, le faire vibrer, le questionner, l’émerveiller, l’ouvrir au monde.
Quand on a eu la chance de le côtoyer dans notre profession, on réalise qu’il est un spectateur exceptionnel, avide de découvertes, sans préjugés, avec une réponse kinesthésique et émotive souvent très forte. Évidemment, pour ça, il faut que le spectacle lui plaise… Sa réponse à la négative sera aussi forte, sans filtre, sans concession. Il est vrai, sa réponse est directe.
Un réseau en développement
Entre les spectacles dédiés à la petite enfance et ceux dédiés à l’adolescence, les enjeux et les réalités sont bien différents. Et parce que les créateurs et diffuseurs ne fonctionnent pas tous de la même manière, il est nécessaire de créer des réseaux tissés serrés.
Ce qui nous distingue au Québec, ce sont sans aucun doute nos structures solides, nos alliances, nos réseaux nombreux et le soutien financier reçu par les différents conseils des arts. Autre facteur important dans notre développement, le théâtre destiné à l’enfance et à la jeunesse s’est construit d’une façon remarquable depuis 40 ans. Nous bénéficions de ce travail de défrichage, de bâtisseurs.
Plusieurs actions concertées réunissant toutes les disciplines ont par ailleurs été menées ces dernières années, dont un comité Relations producteurs/diffuseurs, un comité Valorisation des arts vivants destinés aux jeunes publics et un comité Médiation culturelle.
Au Québec
Progressivement, des diffuseurs spécialisés en théâtre dont les programmations sont entièrement dédiées à l’enfance (la Maison Théâtre, L’Arrière Scène et Les Gros becs) ouvrent leur porte à la danse. De même, des diffuseurs spécialisés en danse incluent une ou deux œuvres jeunesse dans leur programmation: Tangente et l’Agora le font depuis plusieurs années en scolaire, idem pour la Rotonde à Québec, en partenariat avec Les Gros becs.
Cependant, ce sont les programmateurs multidisciplinaires qui ont été nos principaux collaborateurs dès le début, selon mon expérience. Fort de leurs alliances déjà construites avec les milieux scolaires, ils ont d’emblée été ouverts à faire une place à des propositions artistiques en danse. Sursaut circulait déjà depuis plusieurs années sur tout le territoire québécois et canadien et l’arrivée de Bouge de là, du Fils d’Adrien danse, de Cas public et de PPS Danse a permis de diversifier l’offre de spectacles. D’une certaine façon, un nouveau milieu, celui du jeune public en danse, prenait son envol. Un créneau dans lequel s’investissent de plus en plus de créateurs: Sandy Bessette, Estelle Clareton, Ismaël Mouaraki, Roger Sinha, Ariane Voineau, Mélissa Tremblay-Bourassa, Nate Yaffe, pour ne nommer que ceux-là.
Le lien avec les écoles s’est aussi développé sur tout le territoire québécois et les écoles de danse sont certainement les premières alliées des diffuseurs. Il reste encore beaucoup de territoires à explorer, à défricher, à développer avec du soutien et des programmes ciblés. Les résidences en région, qui sont porteuses et aident le développement de la discipline, devraient être multipliées.
À Montréal
Dans ce grand portrait de la diffusion, on doit évidemment parler de Montréal, grande métropole canadienne. Le réseau des maisons de la culture et des arrondissements a développé des liens exceptionnels avec ses écoles et ses citoyens. Son importante population lui permet de rejoindre un nombre imposant de spectateurs. L’appui du Conseil des arts de Montréal en tournée favorise ces rencontres. Parallèlement, la Ville de Montréal et le ministère de la Culture et des Communications subventionnent un important volet de médiation culturelle. Le ministère de l’Éducation a également développé le programme Une école montréalaise pour tous qui soutient l’accès aux arts aux enfants de milieux défavorisés ciblés. Un modèle qui gagnerait à être implanté dans d’autres régions du Québec à mon avis.
Pour de meilleures conditions
D’autres batailles restent à mener. À l’échelle canadienne, les compagnies québécoises ont développé des liens avec certains diffuseurs spécialisés comme le Young People Theatre de Toronto et, jadis, le Vertigo Theatre à Calgary. Les sorties restent toutefois peu nombreuses, hormis quelques exceptions chez les importants diffuseurs multidisciplinaires principalement au Nouveau-Brunswick, en Ontario et en Colombie-Britannique.
Créer des œuvres fortes qui parlent aux jeunes implique d’avoir de bonnes conditions de création et de production, des résidences de création, du temps et des conditions optimales pour rejoindre les bons spectateurs. Par ailleurs, l’aspect production est important en jeunesse: les éléments scénographiques sont souvent source d’émerveillement et doivent être soignés, d’où l’importance d’avoir du temps en salle pour la création. La jauge est aussi à prendre en considération. Chaque enfant dans la salle doit pouvoir vivre une même expérience et il est souvent nécessaire de restreindre la capacité de la salle à 300-350 sièges, voire de 60 à 100 places pour les propositions destinées aux tout petits (18 mois à 3 ans).
La danse est un art noble qui véhicule de belles valeurs et développe plusieurs aptitudes. C’est important de le faire valoir et je considère que nous en avons la responsabilité comme adultes, comme créateurs, quand on s’adresse à l’enfant.
* Le Forum sur la diffusion de la danse jeune public au Canada est une initiative de l’Alliance des réseaux canadiens de danse et a été présenté par La danse sur les routes du Québec lors de l’édition 2019 de Parcours danse.
Ginette Ferland a plus de 30 années d’expérience dans les milieux de la danse et du théâtre. Psycho-éducatrice, chorégraphe, interprète et enseignante durant plusieurs années, elle a notamment assuré la codirection générale de Bouge de là de 2000 à 2015 et agit désormais à titre d’agente de développement et de diffusion pour les compagnies PPS Danse et Créations Estelle Clareton. En 2014, elle était partie prenante du premier colloque dédié à la création en danse jeune public au Québec, organisé en collaboration avec Bouge de là, Cas public, PPS Danse et le Département de danse de l’UQAM.