Décolonisation de la danse: retour sur l’atelier du RDV annuel des membres
C’est sous la forme d’un cercle de parole réunissant plus d’une trentaine de membres que le Regroupement québécois de la danse (RQD) a ouvert une importante discussion sur l’art chorégraphique au RDV annuel des membres. En résonance avec la mission du RQD récemment reformulée, dans laquelle le concept rassembleur d’«art chorégraphique» a remplacé celui de «danse de création, de recherche et de répertoire», la réflexion s’est ouverte sur ces questions: comment définir l’art chorégraphique en 2019? Comment élargir la vision occidentalocentriste qui le fonde pour faire tomber les barrières systémiques qui nuisent encore au plein déploiement de nombreux professionnels de la danse? Échanges de visions et de perceptions, parfois complémentaires, parfois contrastées, ont permis d’entamer dans le plus grand respect un dialogue nécessaire et encore à poursuivre.
Qu’est-ce que la décolonisation?
Si l’on se réfère au lexique commenté Comprendre les enjeux de l’inclusion en danse, il y a, dans l’esprit de décolonisation de la danse, la volonté de questionner le cadre idéologique qui classe notamment les pratiques entre arts mineurs et arts majeurs et entrave la reconnaissance de productions artistiques s’inscrivant dans des traditions autres qu’européennes ou états-uniennes. De fait, dans l’histoire des arts, un processus de marginalisation de formes artistiques a été mis en œuvre par un certain discours esthétique légitimant des normes étalons qui positionnent les arts de création comme intrinsèquement occidentaux, réduisant les productions non occidentales au pittoresque et à l’exotique. Ces normes ont créé une ligne d’inclusion et d’exclusion que le mouvement de décolonisation des arts tente aujourd’hui de déconstruire. Les concepts de «recherche, création et répertoire» faisant implicitement référence à la danse contemporaine et au ballet, de nombreux professionnels de la danse ne s’y reconnaissent pas.
La décolonisation: comment, pour qui et par qui?
Les artistes et travailleurs culturels participant au cercle ont entamé la réflexion en posant de nombreuses questions. En quoi le terme «art chorégraphique» est-il plus inclusif que le mot «danse» tout court? L’art chorégraphique est-il figé, a-t-il des frontières? Est-il, par essence, institutionnel et réservé à une certaine élite, à quelques privilégiés? Quel est le rôle de chacun, individuel et collectif, ainsi que celui du public, pour élargir les consciences et orienter les pratiques dans des directions nouvelles?
À la question posée par une membre du RQD, «Qui propose de décoloniser le terme d’art chorégraphique et pour servir qui?», on a répondu que les communautés sous représentées appelaient cette conversation pour rendre les organismes plus inclusifs et élargir l’accès aux fonds publics. On a parlé de la colère engendrée par la perpétuation d’un système de valeurs colonialiste dont les manifestations teintent encore les pratiques. On a plaidé pour un processus de renversement progressif des positions marginales et des pratiques artistiques des peuples colonisés, des Autochtones, des personnes racisées et on a rappelé la nécessité de laisser ces différents groupes définir par eux-mêmes ce qu’est l’art chorégraphique. On a aussi souligné au passage le besoin d’inclure dans cette conversation d’autres personnes que les convertis venus participer au cercle.
Dans la mise en perspective des notions de réconciliation et de décolonisation, on a insisté sur le fait que cette dernière devrait être pensée et opérée à tous les niveaux: de la formation au discours sur l’histoire de la danse au Québec et au Canada, en passant par la définition de professionnalisme, l’accueil des artistes immigrants dans le paysage chorégraphique, etc.
On s’est aussi demandé comment aider les institutions à se transformer et donner plus de place à ceux et celles qui en manquent au sein de l’écosystème complexe de la danse. On s’est en outre questionné sur la ligne entre art et divertissement, sur la fonction des différentes pratiques artistiques dans la société et sur la possibilité de les considérer sur un pied d’égalité; sur le danger de créer de nouveaux silos en établissant de nouveaux canons, ou encore, sur le besoin de questionner les hiérarchies établies au sein même des compagnies et des processus de création.
Des identités singulières et plurielles
La richesse des échanges a fait également ressortir la multiplicité des héritages culturels ou esthétiques, l’importance des racines et des apprentissages que nul ne peut renier et le manque de clés de compréhension pour apprécier pleinement les productions des artistes qui viennent d’ailleurs. Pour plusieurs, la décolonisation de l’art chorégraphique se situe dans la rencontre et la reconnaissance des identités, singulières et plurielles. Cette rencontre invite à avoir de l’humilité dans les approches, à donner la parole, de l’espace, des ressources et de la visibilité. Et pour favoriser cette rencontre, chaque cercle de parole proposé cette année s’appuie sur le témoignage du vécu et de la démarche d’artistes ciblés. Ce lundi 2 décembre, le petit groupe de personnes réunies autour du chorégraphe-interprète Ismaël Mouaraki a donné lieu à des échanges extrêmement touchants et percutants. On dévoilera bientôt qui sera l’invité du cercle de parole du 3 février 2020, qui se tiendra aussi dans le café du MAI. Inscrivez déjà cette date dans votre agenda. Nous avons tous à y gagner.