La médiation comme outil de création
Depuis maintenant trois ans, la création participative fait partie intégrante de mon travail. Chaque projet me permet d’explorer les multiples possibilités créatives qu’offre la collaboration entre la population et les artistes professionnels. À quelques jours du dévoilement public des vidéodanses En ces lieux, ils danseront, un projet d’Ample Man Danse avec la participation de patients du CHUM, mon regard se pose sur le chemin parcouru. Avoir été témoin, encore une fois, de l’impact qu’aura eu un tel projet sur les patients, mais aussi sur la communauté de l’hôpital dans son ensemble, m’amène à réfléchir de manière très personnelle à la relation qu’entretiennent la création chorégraphique et l’animation artistique dans notre société.
Un projet collaboratif
Tout a commencé en avril 2019. Avec le concours de La Fabrique culturelle (et grâce au soutien du CALQ), trois équipes partenaires prenaient place sur le terrain de l’hôpital: l’équipe artistique d’Ample Man Danse, l’équipe caméra-réalisation-montage de Fiz Studio, et la grande équipe du CHUM (direction, personnel soignant, personnel logistique et des communications). Voir toutes ces personnes de milieux très divers se rallier autour d’un projet de création chorégraphique, ainsi que leur implication et leur dévouement tout au long des sept derniers mois, a fourni les preuves du pouvoir rassembleur que peut exercer un projet de création/médiation artistique.
La particularité du projet, ici, était d’inclure des patients atteints de douleur chronique au sein de l’équipe de création. Chaque rencontre d’En ces lieux, ils danseront était dirigée conjointement avec Émilie Demers, danseuse, ergothérapeute au CHUM et idéatrice du projet, avec le réalisateur Frédéric Baune et, en alternance, avec les danseurs et danseuses de la compagnie. L’environnement physique du CHUM, tout neuf et lumineux, a servi d’architecture à l’œuvre, maintenant présentée sous la forme de quatre vidéodanses et d’un making of des ateliers témoignant du processus de création avec les patients et des séances de tournage.
Créer du lien par la danse
Animateur depuis l’adolescence dans des milieux de vie aussi variés que complexes, j’élabore toujours mon approche selon quatre termes clés: la Rencontre, l’Échange, le Partage et la Création. Et ceci, peu importe l’âge des participants, leur condition physique ou leur statut social. Le plus important à mes yeux, en contexte de création participative, c’est d’être ouvert et sensible aux personnes devant lesquelles je me retrouve. D’une part, je dois rassurer les participants qui en ont besoin pour les aider à s’ouvrir à la proposition artistique, mettre en valeur leurs connaissances et faciliter leur compréhension. Je dois être présent pour les alimenter dans le processus, les écouter pour connaître leur expérience et les amener à se connecter avec l’œuvre. Quand la confiance est établie, il est inspirant de voir comment l’implication des participants est profonde et sincère. Quand leur créativité se réveille et nous donne des bijoux, et quand le partage d’idées, d’émotions, de sentiments crée de nouvelles relations, uniques (et belles !) entre eux et la danse, on sait qu’on a atteint quelque chose de fort artistiquement. Très vite, les échanges deviennent riches, les intervenants se sentent à l’aise de s’exprimer et tous veulent contribuer à la création, aux côtés du chorégraphe.
À chaque projet, et peu importe la situation, mon objectif est de créer du lien entre les expériences vécues de chaque personne et l’œuvre. L’objectif est de piquer l’intérêt, d’ouvrir le champ des possibles pour que chacun se retrouve et se positionne. Au final, on aura laissé une trace qui vivra longtemps, avec un impact durable d’un point de vue artistique, mais surtout humain. Avec la danse, les patients ont goûté à des moments de pause «exempts de souffrance» où ils sont parvenus à mieux comprendre leurs possibilités gestuelles, malgré les douleurs chroniques qu’ils subissent au quotidien. Atteindre un résultat chorégraphique aussi clair a constitué une très grande source de motivation dans leur cheminement.
De la médiation à la création
Dès lors, j’ai compris que, pour moi, la médiation est indissociable de la création. Un projet comme En ces lieux, ils danseront réunit mes expériences d’animateur et de créateur. Chaque fois, sitôt l’atelier commencé, je me mets à guider et à installer un langage du corps pour la danse. Peu importe avec qui je travaille, mon rôle est aussi de reconnaître le potentiel créateur de chacun, de le faire émerger par la danse, d’y poser un regard, une réflexion et de le connecter dans un processus. Chaque parcours de vie amène ses particularités et ses nuances. Il en émane une belle vulnérabilité, touchante et sincère, une source d’inspiration collective riche et porteuse. J’ai compris qu’un travail chorégraphique, qu’il soit fait avec des danseurs professionnels, des collaborateurs artistiques, des érudits d’art, de jeunes initiés ou encore des néophytes, se fait l’écho de rencontres humaines, vraies et intimes. Personnellement, je vois l’artiste animateur comme un membre essentiel d’une équipe de création, contribuant à la réflexion créative au même titre que tous les collaborateurs.
Nés d’une très grande complicité entre les patients, le réalisateur, l’ergothérapeute, les interprètes professionnels et le chorégraphe, les quatre vidéodanses ainsi que le court documentaire auront majestueusement pris vie dans l’architecture de l’hôpital. Que la direction du CHUM nous ait accueillis d’une manière aussi privilégiée et exceptionnelle, que les participants aient embarqué si généreusement dans le processus, avec confiance et authenticité, que tous les collaborateurs artistiques se soient investis personnellement dans le projet, tout ça prouve que la création participative a sa place dans l’écologie artistique contemporaine. Je pense que notre plus grande réussite tient dans l’écoute des patients dont plusieurs ont confié se reconnaître intimement dans les propositions dansées. Avec eux, nous avons réussi à exprimer, à travers une œuvre artistique, tout ce qui leur est si difficile à dire, à exprimer. Nous avons pris une pause dans la thérapie pour laisser parler leur poésie.
«La danse qui m’anime est une danse de rencontres. J’aime l’effet synergique créé par la rencontre des gens avec l’espace urbain, où l’intime et le public arrivent à s’arrimer pour faire vivre une expérience artistique signifiante.»
♦ Les vidéodanses En ces lieux, ils danseront seront diffusées dès le 28 octobre 2019 en série web sur La Fabrique culturelle.
Simon Ampleman
Personnalité phare en médiation artistique dans le milieu de la danse, il a mené bon nombre de projets de création en lien avec plusieurs institutions culturelles, scolaires et politiques, au Québec et en France.