Regards sur la scène artistique autochtone au Québec
Longtemps tenus à l'écart des projecteurs, les arts vivants autochtones connaissent aujourd'hui un nouvel essor et les opportunités de présentation des œuvres tendent à se multiplier sur les plateaux québécois. La scène autochtone contemporaine demeure cependant encore bien méconnue du grand public. Quatre artistes et diffuseurs autochtones et allochtones étaient invités à RIDEAU pour parler de leurs réalités, de la circulation et de l'accessibilité de leurs œuvres auprès des publics.
La spécialiste des arts médiatiques et de la résurgence culturelle autochtone au Québec et au Canada, Mélissa Gélinas, animait la discussion qui réunissait les directeurs André Dudemaine (Festival Présence autochtone) et Dave Jenniss (théâtre Ondinnok), le metteur en scène et comédien Xavier Huard (Productions Menuentakuan) et l'artiste interdisciplinaire Émilie Monnet (Productions Onishka).
D'entrée de jeu, l'animatrice a énoncé une longue liste d'œuvres autochtones parues dans la dernière année sur les scènes québécoises, de Montréal à Natashquan, démontrant par A + B qu'il existe bel et bien une offre de spectacles de danse, de musique et de théâtre autochtones riche et diversifiée.
Pourtant, plusieurs obstacles à la circulation des œuvres autochtones ont été identifiés, parmi lesquels le manque patent de visibilité dans les médias officiels et le défi pour les artistes de réunir les fonds nécessaires pour effectuer des tournées sur le vaste territoire québécois. Émilie Monnet a pour sa part affirmé avoir aujourd’hui plus d’occasions de présenter ses œuvres au Canada anglophone que dans la Belle Province.
L'enjeu de la formation de la relève artistique a également été pointé comme un facteur systémique qui nuit au plein développement des arts de la scène autochtone. Xavier Huard soulignait à ce titre le manque d’opportunités pour former la relève et la nécessité d’accroître l’accès aux arts pour les jeunes autochtones. Émilie Monnet rappelait en revanche l'importance de la transmission orale des savoirs et savoir-faire dans la culture autochtone et invitait à encourager et soutenir ce type de transmission. À un membre du public qui la questionnait sur la pertinence des écoles de formation professionnelle pour les artistes autochtones, elle a pointé la complémentarité des apprentissages offerts par ces institutions (comme la projection de voix qui peut être étudiée dans les écoles de théâtre, par exemple) et les formes traditionnelles et spirituelles qui s'acquièrent dans d'autres contextes. Relevant que plusieurs institutions d'enseignement accueillent déjà quelques étudiants autochtones, les intervenants ont plutôt insisté sur la nécessité d'enseigner les «référents autochtones» – historiques, symboliques, corporels… – à tous les élèves des écoles professionnelles, qu'ils soient autochtones ou non.
Interrogés sur les enjeux de diffusion, les panélistes ont invité les programmateurs à nourrir une réelle curiosité pour les artistes et les œuvres autochtones, en évitant de programmer une œuvre en fonction d'une étiquette «autochtone». André Dudemaine soulignait la prise de conscience globale survenue dans la foulée de la Commission de vérité et réconciliation du Canada (2007-2015) et constatait que les opportunités de présentation des œuvres autochtones se multipliaient, évoquant même un «mode rattrapage» de la circulation de ces œuvres. «Accueillir des spectacles autochtones, c’est aussi participer à la réconciliation», affirmait-il encore. Dans la même veine, il a été rappelé que le Conseil des arts du Canada et le Conseil des arts et des lettres du Québec offrent désormais des programmes de soutien dédiés aux communautés inuites, métisses et des Premières Nations et gérés par des agents autochtones. Des programmes qui gagneraient à être mieux connus, tout comme les services d'accompagnement et l'offre de formation continue qui peuvent aider les artistes autochtones à mieux connaître les ficelles de la diffusion et à la prendre en considération dès les prémisses de leur projet.
Concernant le rapport aux publics, Xavier Huard faisait ressortir que l’appréciation des œuvres s'ancre dans les référents culturels des spectateurs; il estime donc nécessaire de dépasser notre éventuelle méconnaissance des codes culturels autochtones pour aborder les œuvres avec ouverture. André Dudemaine a invité les lieux de savoir et de mémoire tels que les universités à nourrir les corpus autour de l’émergence des artistes autochtones.
À l'épineuse question d'un membre de l'auditoire «Y a-t-il une discrimination positive envers les artistes autochtones? Serait-elle une étape nécessaire [pour optimiser la circulation des œuvres autochtones]?», André Dudemaine a répliqué que dans la perspective de «payer nos dettes par rapport aux crimes du passé», il serait plus juste de parler de «réparation» que de discrimination positive.
En savoir plus
Liste des évènements autochtones récurrents et autres ressources préparées par Mélissa Gélinas (source: RIDEAU)
Invités
- André Dudemaine est cofondateur et directeur de Présence autochtone, festival multidisciplinaire dédié aux arts autochtones.
- Dave Jenniss est un acteur, metteur en scène et dramaturge malécite. Il est aussi directeur artistique du théâtre Ondinnok.
- Xavier Huard est un artiste de théâtre gradué de l’'ENTC depuis 2013 et co-directeur des Productions Menuentakuan depuis 2015.
- Émilie Monnet / Productions Onishka est une artiste interdisciplinaire d'origine anishnaabe/française. Fondatrice des Productions Onishka. Artiste en résidence au Centre du Théâtre d'Aujourd'hui.