La rencontre comme vecteur de survie des arts en région
J’ai récemment assisté à la présentation publique d’une étape de création de la pièce Suite Canadienne, une démonstration, de l’artiste multidisciplinaire Adam Kinner, accueillie au Musée d’art de Joliette en collaboration avec le Théâtre Hector-Charland. La performance m’a fait revisiter tout un pan de mon passé d’interprète, d’autant plus que j’en connaissais certaines des artistes pour avoir partagé avec elles ma formation professionnelle en ballet[1]. L’émotion du moment m’a notamment amenée à réfléchir à l’importance de la rencontre dans la fréquentation et la (sur)vie des arts en région.
De façon assez humoristique, mais sans moquerie, Kinner nous invite dans cette création à poser un regard sur l’époque et le travail de Ludmilla Chiriaeff, cette pionnière qui a fondé les Grands ballets canadiens. Des Montréalais de même que des Joliettains fidèles à leur Musée étaient présents. Ma mère, ancienne élève de celle qu’on surnommait affectueusement Madame, était de ceux-ci. Nous composions ainsi un public éclectique et curieux, comme c’est bien souvent le cas chez nous. Plusieurs semblent y avoir trouvé leur compte, si l’on se fie aux nombreux remerciements soulignant la possibilité de voir, ailleurs qu’à Montréal, un échange fructueux entre danse et arts visuels prendre vie. Un exemple éloquent du pouvoir de la rencontre, d’abord entre commissaire et diffuseur, ensuite entre artistes et public.
Tandis que pour certains, Suite canadienne, une démonstration est une proposition pointue, pour d’autres, c’est un nouveau monde qui s’anime ou encore, une occasion de revisiter leurs souvenirs… Ce type d’expériences, ce partage du sensible, me touchent et me poussent à vouloir faire en sorte que la rencontre, sous diverses formes, soit au cœur de ma programmation. À l’heure où le commissariat des arts de la scène s’affirme de plus en plus dans les grands centres, nos réalités régionales nous invitent à stimuler l’intérêt de nos publics pour la danse, ce qui conduit certains d’entre nous à orienter leurs choix vers des projets qui favorisent précisément la rencontre et vers une diversité de propositions qui interpellent le plus de monde possible. Par exemple, en l’espace de trois mois, le Pôle lanaudois de la danse aura accueilli Ballet Ouest de Montréal, Audrée Juteau, BIGICO, Sébastien Provencher, Marie Béland, Adam Kinner, Anne Plamondon, Bettina Szabo, Lucy May et Julie Pilon. Un éventail de projets qui a attiré plus de 3 000 personnes!
L’exemple du Pôle lanaudois, développé par le Théâtre Hector-Charland et qui regroupe les villes et certains diffuseurs de l’Assomption, Repentigny, Joliette et Terrebonne, est cependant une exception. La diffusion de la danse en région reste tout un défi. L’étendue du territoire et le manque de ressources humaines et financières en sont les principales causes. Il nous est par exemple souvent difficile d’assurer nos déplacements pour assister en personne à un spectacle avant de le programmer, ce qui complique notre tâche. Et la grande majorité des diffuseurs pluridisciplinaires n’ont pas les moyens d’engager une personne entièrement dédiée au développement de la danse, ce mandat étant confié à quelqu’un dont la charge de travail est déjà énorme. Difficile, dans ce contexte, de nourrir le lien entre le diffuseur et l’artiste, son producteur ou son agent et de créer les conditions optimales entre la danse et ses publics.
Depuis quelques années et notamment grâce au précieux travail de La danse sur les routes du Québec, les artistes manifestent davantage d’intérêt envers notre travail et sont plus conscients des enjeux de diffusion en région. Du côté des diffuseurs pluridisciplinaires, les nombreux efforts consentis depuis des années portent fruit et les conseils des arts se font plus sensibles à la cause du rayonnement de la danse en région. Espérons que d’avantage de moyens y soient donnés le plus rapidement de possible pour assurer une plus grande circulation des œuvres chorégraphiques sur l’ensemble du territoire et un meilleur accès aux arts de la scène de l’ensemble de la population québécoise.
Annie-Claude Coutu Geoffroy a dansé. Elle s’ingénie maintenant à créer des ponts entre le public, les artistes et différents organismes dans sa région. Actuellement responsable du volet danse au Théâtre Hector-Charland, elle est également membre du conseil d’administration du Regroupement québécois de la danse depuis l’automne 2017 et a siégé, de février 2018 à janvier 2019, au comité de réflexion sur la diffusion des arts de la scène au Conseil des arts et des lettres du Québec.
[1] L’œuvre est interprétée par Hanako Hoshimi-Caines, Louise-Michel Jackson, Kelly Keenan, Adam Kinner, Justin de Luna et Mulu Tesfu.