Politique de développement culturel: intervention du RQD aux consultations de la Ville de Montréal
Le 3 avril dernier, Fabienne Cabado, directrice générale du Regroupement québécois de la danse (RQD) a participé aux consultations de la Ville de Montréal dans le cadre du projet de Politique de développement culturel 2017-2022. Le volumineux document intitulé Savoir conjuguer la créativité et l’expérience culturelle citoyenne à l’ère du numérique décline une ambitieuse vision d’avenir articulée autour de trois grands chantiers: 1. L’entrepreneuriat culturel et créatif pour pérenniser la création; 2. Le numérique au service de l’expérience culturelle du citoyen; 3. Un vivre ensemble incarné dans les quartiers culturels. Dégageant d’abord les points positifs de ce projet, Fabienne Cabado a ensuite témoigné des inquiétudes qu’il soulève pour le devenir de l’art chorégraphique, faisant valoir que Montréal pourrait choisir de reconquérir le titre de capitale internationale de la danse.
Trop fort accent sur les notions d’entrepreneuriat et d’industrie culturels et créatifs
Constatant qu’aucun chapitre n’est consacré aux artistes et à la pratique professionnelle, le RQD s’inquiète d’autant plus du souci qu’on portera aux conditions de pratique de la danse et au développement disciplinaire que le projet de politique annonce des évaluations basées sur la force de plans d’affaires combinant montage financier solide et forte portée artistique, sans égard à l’historicité. Quid, dans ce contexte, des risques inhérents à tout processus de recherche et à toute quête d’innovation?
Et de rappeler que si la culture contribue de diverses façons à l’essor économique, les œuvres d’art ne sont pas pour autant des marchandises et les artistes sont des créateurs avant d’être des entrepreneurs. Leur donner les moyens de se consacrer à leur art, c’est, entre autres, créer des contextes qui leur permettent de se dégager au maximum des tâches de gestion pour lesquelles ils n’ont généralement pas été formés et ne sont, parfois, pas doués.
Saluant le soutien prévu à la création de nouveaux modèles d’affaires et à la mutualisation des ressources, pratique de plus en plus répandue dans le milieu de la danse, le RQD a notamment souligné l’impact positif sur l’ensemble de la discipline d’une potentielle mutualisation du risque pour la production de grandes formes. Il a aussi évoqué la nécessité de guider les gens d’affaires dans l’apprivoisement du langage du corps, proposant la constitution d’un groupe de réflexion pour trouver, entre autres, comment développer une culture du mécénat pour l’art chorégraphique qui n’attire pas aussi spontanément les donateurs que d’autres formes artistiques.
De l’intérêt du numérique pour la danse
Le projet de Politique de développement culturel de la Ville place le numérique au service de l’expérience culturelle du citoyen. Comment cette idée pourrait-elle se concrétiser positivement pour la danse? Par des projets de médiation culturelle comme la Docubox, testée il y a deux ans à l’Agora de la danse, qui ouvrait un espace privilégié sur le processus et les coulisses de la création présentée, a suggéré le RQD. Ou encore, par une promotion municipale de l’offre en danse pour palier la perte d’espace médiatique pour la discipline et le manque de moyens de bien des individus et organismes pour travailler à la découvrabilité des œuvres. Et pourquoi ne pas envisager la création d’un guide de découverte de la danse sur le site de Tourisme Montréal?
Tout en suggérant la création d’un organisme de services qui permettrait aux créateurs en danse de participer au grand virage numérique sans avoir à en assumer le fardeau, Fabienne Cabado a également fait valoir la merveilleuse opportunité qu’offre le numérique de valoriser et de diffuser le patrimoine de la danse. Insistant sur la nécessité de songer à la valorisation du patrimoine immatériel en écho aux actions de valorisation des sites et des bâtiments patrimoniaux, elle a fait remarquer qu’au même titre que la Ville acquiert des pièces d’artistes visuels contemporains, elle pourrait soutenir la recréation ou le remontage d’œuvres du patrimoine chorégraphique ou contribuer autrement à la valorisation du patrimoine de la danse.
Se référant à l’intérêt que porte le projet de Politique sur la créativité en design urbain pour vitaliser certains quartiers et y améliorer la qualité de vie, elle a invité la Ville à imaginer des couplages entre designers et chorégraphes pour conjuguer corps et urbanité, reprenant l’idée de réflexe culturel à développer pour une vie culturelle inclusive, diversifiée et éclatée.
Des dangers de miser sur le citoyen-créateur et de privilégier la demande sur l’offre
Face au désir affiché de promouvoir une «offre culturelle variée, adaptée à la demande des citoyens et accessible», le RQD a rappelé l’importance de propositions artistiques inattendues, dérangeantes, exigeantes, qui favorisent, par le fait même, la réflexion, l’ouverture et l’enrichissement des individus et de la collectivité. Soulignant la relativité de la notion d’accessibilité et le danger de contraindre ou de formater les créations au nom de cette dernière, il a revendiqué pour les artistes la liberté de créer au-delà des impératifs économiques et sociétaux. Il s’est particulièrement insurgé contre l’idée de se concentrer non plus sur l’offre culturelle, mais sur la demande avec la volonté d’impliquer absolument le citoyen dont on déclare qu’on ne veut plus qu’il ne soit «qu’un simple spectateur».
Reconnaissant les effets bénéfiques de la créativité et de la pratique artistique dans les sphères intimes et sociales, le RQD s’est cependant inquiété de voir ce «citoyen créateur d’œuvres personnelles et collectives» se substituer pernicieusement à l’artiste. Rappelant qu’une œuvre n’est complète qu’avec le regard du spectateur et qu’être spectateur, ce n’est pas être passif, il a plaidé pour la valorisation de la fonction et de l’expérience du spectateur et pour la création d’un centre de médiation culturelle qui l’outille pour le rendre avant tout capable de recevoir n’importe quelle œuvre d’art et pour aiguiser son esprit critique. Dans cette optique, le renforcement de la diffusion et de la médiation culturelle dans le réseau des maisons de la culture s’impose comme une évidence.
La nécessaire augmentation du budget du Conseil des arts de Montréal (CAM)
À l’issue d’une intervention d’une trentaine de minutes, le RQD a demandé à ce que la future Politique de développement culturel de la Ville précise le rôle du CAM et les moyens financiers qui lui seront donnés de mener à bien sa mission. Car le projet actuel ne contient aucune proposition concrète à cet effet, si ce n’est la mention d’un appui de la Ville aux orientations stratégiques du Conseil liées à la diversité culturelle, à la relève et à la philanthropie et la mention d’une révision de ses programmes en vue d’une meilleure complémentarité avec les actions de la Ville.
Dans l’idée de renforcer et de développer les actions de cet organisme de proximité qui joue un rôle primordial auprès de la communauté artistique montréalaise, le RQD a rappelé qu’en 2005, le CAM préconisait dans un mémoire un rattrapage de son financement qui aurait dû porter son budget actuel à 20 M$. Or, tandis que le nombre d’organismes à soutenir ne cesse de croître, les crédits dont dispose aujourd’hui le Conseil ne dépassent pas 15 M$. Cela donne une d’idée très claire de l’investissement nécessaire dans ce pilier du développement culturel.
Les consultations publiques de la Ville de Montréal se poursuivent jusqu’au 13 avril avec l'objectif d'adopter les recommandations en mai et de dévoiler la nouvelle Politique de développement culturel en juin 2017. Au total, quelque 70 organismes auront profité des consultations pour présenter leur opinion verbalement, comme le RQD. Onze d’entre eux ont même déposé des mémoires que l’on peut consulter ici. Espérons que de nombreuses et convaincantes voix feront pencher les décideurs en faveur d'un soutien accru du CAM et du renforcement du rôle de l'artiste dans la métropole.