Le financement des arts à l’ère du numérique
Dans un mois jour pour jour auront lieu des élections générales anticipées au Québec. Entre les questions identitaires et économiques, y aura-t-il une place pour la culture dans cette campagne électorale? Espérons-le! Et souhaitons que les questions liées au financement des arts et de la culture, à l’amélioration des conditions socio-économiques des artistes, à l’intégration de la relève artistique et des artistes de la diversité culturelle, à la place des arts et des artistes à l’école feront l’objet de discussions et d’engagements clairs de la part de tous les partis.
«Ensemble, on s'occupe des vraies affaires», «Plus prospère, plus fort, plus indépendant, plus accueillant», «On se donne Legault», «Je vote avec ma tête», au jour 2 de la campagne, mis à part les slogans, nous connaissons encore bien peu de choses des programmes électoraux des différents partis. Seul le Parti Québécois, au pouvoir depuis 18 mois, a eu l’occasion de se positionner et de laisser voir ses orientations en matière de développement culturel pour le Québec.
Dans son budget 2014-2015, déposé dans un contexte clairement préélectoral, le ministre des Finances et de l’Économie, Nicolas Marceau, annonçait notamment des investissements de 150 M$ pour la Stratégie culturelle numérique québécoise. Cet investissement vise à permettre aux organismes culturels de prendre le virage technologique, ce qui constitue en soi une mesure fort réjouissante. Pour ce faire, le gouvernement du Québec entend consacrer 100 M$ sur sept ans à son Plan québécois des infrastructures, ce, à compter de 2014-2015. Il s'engage également à verser 50 M$ sur 5 ans au ministère de la Culture et des Communications, sous la forme d'octrois «financés à même l’objectif de croissance des dépenses du gouvernement».
Si les 150 M$ alloués à la stratégie font partie d'un budget qui n'a pas encore été adopté, le ministre Maka Kotto a toutefois annoncé des investissements immédiats de 10 228 300 $, destinés à la mise à niveau des équipements numériques dans toutes les régions du Québec. Pour les salles de spectacle, 5,3 M$; 2,5 M$ aux bibliothèques pour intégrer les livres numériques à leurs collections; 1 M$ pour les cinémas parallèles et 1,4 M$ pour la mise en œuvre par la SAT d'un projet-pilote de mise en réseau de diffuseurs en arts de la scène et de communautés autochtones.
Rappelons que la Stratégie culturelle numérique québécoise est le fruit d’un travail de concertation effectué auprès de plus de 250 acteurs du milieu culturel. Dévoilé cette semaine, cet ambitieux chantier virtuel s’articule autour de trois grandes orientations :
- enrichir l’offre de contenus culturels numériques existants, nouveaux ou expérimentaux, pour assurer une présence accrue sur tous les canaux;
- assurer la diffusion et l’accessibilité des contenus québécois en misant sur les nouveaux outils numériques et les habitudes de consommation émergentes;
- créer un environnement propice au développement du numérique.
Dans un premier temps, on entend «mettre à niveau les outils et pratiques», en numérisant les contenus existants afin d’en améliorer la disponibilité, en développant des interfaces adaptées aux dispositifs mobiles et aux médias sociaux et en adaptant l’appareillage législatif et réglementaire à la réalité numérique.
Dans un deuxième temps, la stratégie propose de «déployer les forces actives», en favorisant le développement de contenus numériques inédits destinés aux plateformes numériques, telle la plateforme Web de diffusion culturelle de Télé-Québec, et en investissant «l’espace culturel global avec des contenus québécois».
Ce volet vise, en outre, à assurer des conditions d’exercices adaptées pour l’ensemble des milieux et s’accompagnera de la création d’un chantier sur le droit d’auteur, annoncé comme un «lieu de concertation afin de proposer des solutions visant le respect du droit d’auteur en matière de diffusion dans l’univers numérique».
Dans un troisième temps, enfin, on souhaite «innover pour assurer l’avenir», en soutenant la recherche, les pratiques numériques émergentes et innovantes et en offrant des outils de médiation éducative et des espaces virtuels d’expression citoyenne.
Ce tournant technologique du ministère de la Culture et des Communications était aussi nécessaire qu’attendu par le milieu culturel. En effet, l’ère du numérique impose aux organismes culturels de nouvelles règles du jeu qui concernent et transforment pratiquement tous les aspects de leurs activités : diffusion, production, création, mais également numérisation du patrimoine, archivage, droit d’auteur, droit à l’image, redevance, rémunération, etc.
Si la stratégie culturelle numérique du Parti Québécois tombe à point, elle laisse malheureusement encore beaucoup de questions en suspens. Sera-t-elle accompagnée d’une augmentation des crédits du CALQ? Sera-t-elle financée par des coupes dans d’autres programmes? Profitera-t-elle aux organismes et aux créateurs? Ces derniers auront-ils accès à des moyens pour produire du contenu numérique inédit? Et comment seront-ils soutenu pour la numérisation de tout «ce capital culturel»? Les producteurs seront-ils en mesure de remplir leurs obligations et de rémunérer convenablement les artistes? Est-ce les créateurs qui, au final, devront absorber les coûts de ce tournant numérique, en termes organisationnel et de ressources humaines et financières?
Le chantier du droit d’auteur annoncé dans la stratégie est essentiel. Mais il ne couvre pas assez largement, nous semble-t-il, l’ensemble des questions soulevées par la transformation profonde du rôle du créateur. En effet, aujourd’hui, les artistes de toutes les disciplines deviennent potentiellement diffuseurs et producteurs de contenus sur des plateformes numériques pour lesquelles les cadres juridiques sont flous et les modèles d’affaires quasi-inexistants. Cette transformation s’accompagne évidemment de nouveaux droits et obligations. Autant de défis qui se posent aux créateurs et aux organismes culturels, à l’heure où les outils publics d’intervention, lois, politiques, règlements et programmes de soutien, devront être réexaminés en profondeur pour être adaptés à l’environnement numérique.
Bien sûr, il faudra attendre l’issue des élections pour avancer concrètement, et en mode accéléré, dans ce vaste chantier. D’ici là, pendant cette courte campagne, qui durera 33 jours, nous resterons à l’affut des orientations et des engagements de tous les partis en lice en matière d’arts et de culture. Rappelons en terminant, nous n’insisterons jamais assez sur ce point, que le soutien aux créateurs est essentiel à la vitalité culturelle du Québec et qu’il passe notamment par le redressement du budget du CALQ.
À lire sur le sujet :
«Québec se dote d’une stratégie culturelle numérique», Le Devoir, 4 mars 2014
«Enfin une stratégie numérique au Québec», La Presse, 4 mars 2014