Émission Révolution: des pour et des contre
Avouons-le d’emblée, je ne prise guère les émissions de danse à la télévision. J’en regarde généralement quelques extraits pour savoir de quoi il retourne et je vais voir ailleurs (de préférence, dans un théâtre) si j’y suis. Je n’avais donc aucune attente en visionnant pour la première fois Révolution, diffusée le dimanche soir à heure de grande écoute. En plus d’y découvrir avec surprise une bonne poignée de membres du Regroupement québécois de la danse (RQD), j’allais m’intéresser au concept qui, selon le diffuseur, permet de rafler 34% de la part d’audience. C’est beaucoup. De quoi me donner le goût de réfléchir à ce qui me plaît dans cette production québécoise et à ce qui me pose question.
Le concept
Précisons pour commencer que Révolution met en compétition 36 candidats de tous âges qui présentent, en solo, en duo ou en groupe, des danses de styles très variés allant du classique à la danse sportive, en passant par la claquette, le swing, le contemporain ou les danses urbaines. Venus de partout au Québec, ils rêvent d’empocher les 100 000 $ à la clef des épreuves (auditions, face-à-face et ronde des finales) pour monter une école ou un spectacle, financer leurs études, un studio, une compagnie… Leurs juges, qu’on appelle «les maîtres», sont des professionnels de la danse qui les conseillent pour la suite. Une jeune actrice en vogue, curieuse, empathique et complice, les accompagne en studio et en coulisses. Il n’y a pas d’animateur. Le spectacle, c’est la danse… et les émotions qu’elle procure aux interprètes, aux juges (extrêmement expressifs) et au public. La particularité et le titre de l’émission viennent d’un système de 128 caméras disposées autour d’une scène circulaire, qui permet de figer un instant de chaque chorégraphie pour observer le mouvement avec une perspective à 360 degrés. Cette «révolution» pouvant servir à les départager, les candidats cherchent, pour chaque création, un mouvement ou une composition particulièrement spectaculaire qu’ils devront exécuter à la perfection. Et si ce dispositif les invite à penser la danse à 360 degrés et que la circularité s’inspire de la culture des battles, on reste cependant dans la présentation classique à l’italienne avec le point de vue frontal des juges et des téléspectateurs.
Une fenêtre sur le(s) monde(s) de la danse
La première satisfaction est qu’une production québécoise mette enfin de l’avant, plutôt que des acteurs ou des animateurs-vedettes, de vrais danseurs jugés par des professionnels de la danse. Entre leurs commentaires et les séquences en studio, on en apprend sur les exigences de la discipline et sur la condition des artistes qui la pratiquent. On mesure notamment le degré majeur de leur investissement et leur vulnérabilité aux blessures qui mettent parfois un terme à l’aventure, mais sur lesquelles on danse généralement sans broncher pour la poursuivre. Tout en banalisant le risque d’aggraver potentiellement une blessure pour danser coûte que coûte, Révolution met au jour cette dure réalité, comme elle déboulonne les préjugés dont sont victimes les garçons qui préfèrent la danse au sport. Et même si les corps qu’elle expose répondent majoritairement aux standards, elle pose aussi l’idée qu’il n’y a pas d’âge pour danser et valorise autant la fougue de la jeunesse que la force de l’expérience.
Les clés du succès
Les valeurs de solidarité, de respect et de reconnaissance qui règnent au sein de la communauté des danseurs sont également mises en scène, ce qui favorise à la fois l’adhésion du public et l’identification potentielle de danseurs en herbe ou en puissance. À ce titre, la participation d’élèves et d’enseignants de diverses écoles en région contribue sans doute à la démocratisation de la danse et je parierais volontiers sur une augmentation soudaine des inscriptions dans les écoles de loisirs de toute la province. Ceci dit, nombre d’entre eux y entreront sans doute avec une vision de la danse qui se résume à la virtuosité technique et à la compétition. Si l’on conçoit qu’il s’agit là des ingrédients-clés du succès d’un divertissement télévisuel tel que Révolution, reste que ce sont aussi des facteurs qui nourrissent généreusement l’anxiété de performance de jeunes étudiants en danse et qui en poussent certains à mettre en jeu leur intégrité physique dans des compétitions vues comme la voie royale vers la réussite.
À l’évidence, dans ce contexte télévisuel de prestations limitées à une minute trente (scindées en deux séquences de 45 secondes dans les épreuves de face-à-face), les artistes n’ont guère d’autre choix que de miser sur l’exploit, même si la créativité et la finesse de l’interprétation comptent parmi les critères d’évaluation des juges. D’une épreuve à l’autre, les danseurs se plient d’ailleurs généralement aux commandes de leurs maîtres, qui relèvent parfois plus du désir de satisfaire leurs goûts personnels que de pousser l’artiste à creuser sa signature, à affirmer sa voix. Mais quand des candidats résistent aux injonctions, ils n’en sont pas nécessairement pénalisés, ce qui entrouvre la porte de l’expression libre des choix artistiques.
Beaucoup d’appelés, peu d’élus
Au chapitre de la compétition, je vois un parallèle entre l’expérience des professionnels que représente le RQD et celle vécue par les participants de Révolution. Comme eux, ils font face à une compétition féroce et voient des portes se fermer malgré l’excellence de leur dossier. Comme eux, ils passent des semaines, voire des mois, à investir temps, efforts et parfois même, argent, dans un projet dont ils n’ont aucune garantie qu’il pourra voir le jour. Comme eux, ils doivent se plier aux critères de ceux qui décideront de leur sort. La différence, c’est qu’ils ne connaissent pas grand-chose de leurs compétiteurs, qu’ils ne profitent pas de la même transparence quant aux raisons qui justifient leur élimination du circuit et que les subventions qu’ils reçoivent atteignent rarement 100 000 $.
Malgré la dominante évidente des esthétiques et de l’esprit des danses urbaines, reflet de l’engouement du grand public pour ces dernières, Révolution présente une variété de styles susceptible d’ouvrir les regards et d’aiguiser la curiosité pour la diversité, d’autant plus qu’elle met sur un pied d’égalité des artistes des disciplines les plus éloignées. Le succès de son format, dont les producteurs négocient déjà l’exportation, prouve qu’il est possible de faire rimer divertissement avec qualité et d’instruire le public en lui ouvrant une petite fenêtre sur les réalités méconnues de la danse professionnelle. Et l’on se prend à rêver d’une production qui pousserait l’audace à pénétrer le monde de la danse par le versant du sensible, de l’imaginaire et des pouvoirs insoupçonnés du corps et qui inciterait le public à faire le pas du divan à la salle de spectacle.
Fabienne Cabado
Directrice du Regroupement québécois de la danse